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tecture comme il n’y a qu’un caractère. L’hôtel où je suis descendu est vaste, grand, haut et carré comme une caserne. Dès qu’on a passé le Rhin, on rencontre cet hôtel partout. Des fenêtres de mon appartement, je vois manœuvrer l’infanterie prussienne, et ce spectacle constitue un de mes plus vifs divertissemens. De ces mêmes fenêtres, je vois encore les arbres du parc de D… Ce parc est fort beau, et on y entend le soir la musique militaire du régiment qui tient garnison dans la ville. Cette musique est très bonne, mais je suis le seul à l’écouter. Personne ne se promène à D… Si on voyait en une semaine, dans la principale rue de la ville, passer autant de monde qu’on en rencontre dans une rue de Paris en une heure, le gouvernement croirait qu’une révolution va éclater, et ferait prendre les armes à sa troupe.

« Le garçon d’hôtel qui me sert m’avait d’abord amusé. Il est si bête ! Comme je lui demandai des renseignemens sur D…, Samuel, — c’est son nom, — sourit d’un air béat. — Ah ! monsieur, s’écria-t-il, les femmes y sont rouges comme des cerises et rondes comme des pommes. — Après quoi, il s’en alla en branlant la tête comme un magot. Évidemment sa comparaison l’avait rempli de joie.

« La bêtise n’est malheureusement pas un plaisir qui puisse égayer longtemps. Samuel ne me suffit plus, et cependant il rit toujours quand il me regarde. Il faut croire qu’il y a dans mon visage quelque chose qui excite son hilarité.

« Si maintenant tu me demandes à quelle époque je quitterai D…, je te répondrai avec mon homme d’affaires : bientôt ; mais comme on ne se lasse pas de me répéter ce mot sur tous les tons depuis le jour de mon arrivée, je crois bien qu’en allemand il signifie : jamais.

« Et vous avez le boulevard, et vous avez l’Opéra, et vous avez Paris, ingrats, et vous vous plaignez ! Je me suis plaint aussi. Voyez comme j’ai été puni ! Prenez garde d’être condamnés à six mois de D…

« Je sais bien que les personnes avec lesquelles je suis en relation m’ont engagé à passer la soirée chez elles ; on m’a même invité à de grands dîners où chacun des convives riait pendant cinq minutes en souvenir du mot spirituel dit par son voisin un quart d’heure auparavant. Après le dîner, il y avait symphonie au salon, ce que les Italiens appellent musica da camera, quelquefois on valsait un peu entre fiancés ; mais à la quatrième soirée l’expérience m’a démontré que mon ennui solitaire valait mieux que ces plaisirs, et dès lors j’ai renoncé à les goûter. Ma pauvre bonne tante ne saura jamais ce que son héritage me coûte. Peut-être m’objecteras-tu qu’il m’est loisible de l’abandonner aux collatéraux. Oui, sans doute, mais j’y mets de l’entêtement ; j’ai commencé, je veux finir. Et puis une retraite, ne