pas vu depuis son enfance, lorsqu’il recouvrait plus tard la Normandie et la Guyenne le monarque achevait l’œuvre de la paysanne, sans laquelle Charles de Valois n’aurait été pour l’histoire qu’un prétendant et peut-être qu’un bâtard.
La mission de la pucelle fut aussi évidente que féconde, car il faut répudier toutes les règles consacrées en matière de certitude historique, ou il faut accepter les faits qui l’établissent. Ces faits nous montrent Jeanne subissant la volonté d’en haut avec une douleur aussi profonde que sa résignation est entière, mais ne la subissant qu’après avoir supplié le ciel de détourner d’elle le calice, et engagé contre sa destinée la lutte de Jacob contre l’ange. Jeanne est un instrument ; elle n’a rien en propre que sa pureté et sa faiblesse ; rien n’est moins spontané que sa pensée, moins libre que son action. Aussi avec quel scrupule elle prend soin de circonscrire elle-même et cette mission et les pouvoirs qui en découlent ! Pour sauver le roi et délivrer la France, elle se tient pour plus puissante que tous les monarques de la terre et vaut à elle seule dix armées ; elle le déclare à chaque instant avec une hauteur qui serait monstrueuse si elle venait de l’homme, et qui n’est sublime pie parce qu’elle vient de Dieu, Hors de là, elle n’est plus qu’une pauvre fille passant ses jours à regretter l’obscurité de son enfance. Celle qui gagne les batailles ne peut soulager aucunes misères, si ce n’est en pleurant sur elles comme la dernière des femmes ; elle en sait sur les affaires étrangères à son œuvre beaucoup moins long que les autres, et lorsqu’on a recours à ses avis, c’est avec la plus entière conviction qu’elle invite à aller en consulter de plus savans. Elle n’a reçu aucun don, aucune grâce spéciale : lui demande-t-on à genoux sa bénédiction, elle la refuse et s’afflige de l’ignorance de ce peuple, qui la prend pour un évêque. Lui présente-t-on des malades à guérir des enfans à toucher, elle s’épouvante à la pensée de devenir une occasion involontaire de superstition et presque de scandale. Elle peut tout pour délivrer un grand royaume, rien pour guérir une migraine. Celle qui écrit aux rois de l’Europe des lettres qu’on dirait émanées de la chancellerie de Charlemagne ou de Napoléon est pleine d’effroi à la seule pensée d’un fait qui aurait pu devenir pour elle l’occasion lointaine d’un péché véniel.
Telle fut Jeanne d’Are dans l’histoire, telle elle devra rester dans la postérité. Cette glorieuse mémoire a eu de bien tristes fortunes, et ne paraît pas en avoir encore épuisé le cours. L’étude a ramené vers elle : l’on a regardé et l’on a été vaincu. En présence de faits aussi éclatans que la lumière, l’équivoque amazone si longtemps badigeonnée par l’ignorance a disparu sans retour ; mais au lieu des draperies du cirque, voici venir les oripeaux de l’école humanitaire.