les jeunes femmes qui séjournent et se succèdent au château ne sont point gardées par des dragons de cette taille. Quelques-unes même, et parmi elles deux ou trois Parisiennes en vacances, affichent une liberté d’allures, un amour du plaisir et une exagération d’élégance qui dépassent les bornes de la discrétion. Tu sais que je n’apprécie pas beaucoup cette manière d’être qui répond mal à l’idée que je me fais des devoirs d’une femme, et même d’une femme du monde ; mais je me range sans hésiter du parti de ces évaporées ; leur conduite me paraît même l’idéal du bien et la splendeur du vrai, quand j’entends ici le soir certaines pieuses matrones distiller contre elles, dans des commérages de portières, le venin de la plus basse envie qui puisse gonfler un cœur départemental. Au surplus, il n’est pas toujours nécessaire de quitter Paris pour avoir le vilain spectacle de ces provinciales déchaînées contre ce qu’elles appellent le vice, c’est à savoir la jeunesse, l’élégance, la distinction, le charme, en un mot tout ce que les bonnes dames n’ont plus ou n’ont jamais eu.
Toutefois, quelque dégoût que ces chastes mégères m’inspirent pour la vertu qu’elles prétendent soutenir (ô vertu ! que de crimes on commet en ton nom ! ), je suis forcé, à mon vif regret, de m’accorder avec elles sur un point, et de convenir qu’une de leurs victimes au moins donne une apparence de justice à leur réprobation et à leurs calomnies. L’ange même de la bienveillance se voilerait la face devant ce modèle achevé de dissipation, de turbulence, de futilité, et finalement d’extravagance mondaine, qui s’appelle de son nom la comtesse de Palme, et de son surnom — la petite comtesse : surnom assez impropre d’ailleurs, car la dame n’est point petite, mais simplement mince et élancée. Mme de Palme a vingt-cinq ans : elle est veuve ; elle demeure l’hiver à Paris chez une sœur, et l’été dans un manoir de Normandie, chez sa tante, Mme de Pontbrian. Permets que je me défasse d’abord de la tante.
Cette tante, qui est d’une très ancienne noblesse, se distingue à première vue par un double mérite, par la ferveur de ses opinions héréditaires et par une dévotion stricte. Ce sont deux titres de recommandation que j’admets pleinement pour mon compte. Tout principe ferme et tout sentiment sincère commandent en ce temps-ci un respect particulier. Malheureusement Mme de Pontbrian me paraît être du nombre de ces grandes dévotes qui sont de fort petites chrétiennes. Elle est de celles qui, réduisant à quelques menues observances, dont elles sont ridiculement fières, tous les devoirs de leur foi religieuse ou politique, prêtent à l’une et à l’autre une mine revêche et haïssable, dont l’effet n’est pas précisément d’attirer des prosélytes. Les pratiques, en toute chose, suffisent à sa conscience : du reste aucune trace de charité, de bonté, aucune trace surtout