Aussitôt les bateaux partirent à pleines voiles et arrivèrent malgré le canon des Anglais. À partir de ce moment, il eut bon espoir, et supplia Jeanne d’entrer dans Orléans, où sa présence était si vivement désirée… D’après toutes ces circonstances, il paraît audit déposant que ces choses-là venaient de Dieu plutôt que des hommes[1]. »
Dunois constate au même interrogatoire que Jeanne refusa d’abord de visiter Orléans craignant que l’armée ne retombât durant son absence dans les désordres dont elle avait si soudainement tari la source. Il fallut cependant se rendre aux vœux des nobles citoyens qui avaient si bien mérité de la France. En voyant la pucelle, ils se sentirent, selon les paroles de l’un d’entre eux, « tout reconfortez et comme désassiégés par la vertu divine qu’on leur avait dit être en cette simple pucelle, qu’ils regardaient moult affectueusement, tant hommes, femmes que petits enfans, et il y avait moult merveilleuse presse à toucher à elle et au cheval sur quoy elle estoit. »
Entrée dans Orléans, Jeanne s’y révéla sous un aspect qui n’avait pas même été soupçonné. Prenant fort au sérieux son titre de chef d’armée, elle imposa à tous la stricte exécution de ses ordres, et déploya en matière de stratégie une compétence et une rectitude d’esprit qui donnèrent à ses avis un poids considérable, indépendamment de la puissance extraordinaire qu’elle avait reçue pour les faire prévaloir. Elle eut grand’peine à pardonner à Dunois la déception dont il avait été l’auteur principal, et d’Aulon a donné dans sa déposition le récit de la scène moitié piquante, moitié terrible, dans laquelle la jeune fille, assise à table près du bâtard, lui déclare que, s’il la trompe sur les mouvemens de Falstaff et des Anglais, elle lui fera oster la teste[2].
Pendant qu’elle confondait les gens de guerre par la sagacité de son intelligence et par sa pénétration, tandis qu’elle préparait l’assaut des formidables bastilles élevées par les Anglais avec la solidité de places de guerre, la pucelle dictait une lettre à leurs généraux pour qu’ils eussent à vider incontinent la terre de France, où Dieu l’avait envoyée « pour réclamer le sang royal, les avisant que s’ils persistent à disputer l’hértaige au vrai héritier, lequel « entrera à Paris en bonne compaignée, elle les férira et frappera, et en fera, si grant hayhay, qu’encore y a-t-il mil ans qu’en France ne fut si grant, si on ne lui faict raison[3]. »
Ces lettres à Talbot, au duc de Bedford et au duc de Bourgogne, que Jeanne multiplie comme des actes de conscience, sont curieuses