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à peine compatibles avec la faiblesse de son âge et de son sexe.

Dès le moment où sa mission eut été reconnue par le roi, Jeanne apparut à tous comme un être extraordinaire, doué de facultés manifestement surnaturelles ; mais aux considérations politiques qui avaient arrêté d’abord les conseillers du monarque avaient succédé chez plusieurs d’entre eux, et particulièrement chez les ecclésiastiques, des hésitations de conscience fort sérieuses, et ce n’est qu’en se rendant bon compte de celles-ci qu’on parvient à comprendre les variations de l’opinion et les phases si diverses de la destinée de Jeanne d’Arc. À quel pouvoir attribuer l’universelle fascination exercée par cette jeune fille ? L’esprit de ténèbres, souvent déguisé en ange de lumière, n’était-il pour rien dans des merveilles dont on voyait les effets sans en pénétrer les causes ? Quelle avait été la vie antérieure de cette femme arrivée d’un lointain pays, en compagnie d’hommes de guerre ? quelle était la pureté de sa doctrine religieuse ? Jeanne était-elle bonne catholique ? son austérité n’était-elle pas un calcul et sa pudeur une feinte ? avait-elle bien droit à ce titre de pucelle qu’elle prenait elle-même avec tant d’ostentation ? Question ardue et de grave conséquence dans un siècle où l’on tenait pour certain, que la puissance du démon ne pouvait s’étendre là où la virginité du corps protégeait par son parfum la pureté de l’âme.

D’un caractère trop faible pour affronter des obstacles d’une pareille nature, Charles VII voulut rassurer toutes les consciences et lever tous les doutes avant d’accueillir les supplications de Jeanne et de lui permettre de s’armer pour se mettre en campagne. Celle-ci accueillit avec sa douceur habituelle l’annonce des longs délais et des pénibles épreuves auxquels elle allait être soumise. Conduite à Poitiers, où siégeait alors l’université royaliste, elle y fut gardée trois semaines en charte privée sous des regards toujours ouverts ; mais soutenue par son commerce avec les anges et les saints, qu’elle disait voir aussi distinctement des yeux de son corps que de ceux de son âme[1], elle attendit avec une sereine confiance le résultat de l’information qui se suivait en Lorraine, en même temps qu’à Poitiers l’on arrachait par des visites humiliantes les secrets les plus intimes de sa pudeur. Interrogée par une commission nombreuse et au début peu bienveillante, elle ne tarda pas à confondre et la science des docteurs et les subtilités des casuistes. Enfant docile

  1. Les visions séraphiques de Jeanne d’Arc, ses conversations particulières avec sainte Catherine et sainte Marguerite, les formes sons lesquelles s’opéraient ces apparitions et les phénomènes psychologiques qui les précédaient presque toujours sont exposés dans les trois interrogatoires de Jeanne avec une précision qu’un commentaire ne pourrait qu’altérer. Ce grand mystère ne peut être étudié que dans le texte même du procès ou dans la version en langue vulgaire qu’en a laissée le greffier Manchon, et que M. Quicherat a jointe au texte.