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toute liberté sur ce point-là, tellement que sa force semblait attachée à son costume aussi étroitement que celle de Samson à ses cheveux. Cet habit ne fut d’ailleurs le gage de sa force que parce qu’il était le bouclier de sa pudeur. Les plus minutieux détails en avaient été combinés pour protéger la vierge sans défense[1]. Si l’on en croît les témoins de l’enquête et la plupart des écrivains contemporains, une étrange puissance aurait arrêté, en présence de cette femme charmante, les plus irrésistibles entraînemens de la nature humaine. Ce vase de pureté faisait évanouir jusqu’aux désirs coupables, et Jeanne n’eut pas à contenir des passions qui ne naissaient pas en sa présence. Dispensée, selon que l’attestèrent sous serment les personnes qui vécurent dans sa plus étroite intimité, de la triste infirmité de son sexe, elle eut encore le privilège de se défendre même contre les atteintes de la pensée par un charme supérieur à celui de sa beauté[2].

La lecture des documens laisse croire que tout fut spontané dans le départ de Jeanne, auquel Baudricourt se borna probablement à ne pas s’opposer. Ses deux guides, bien loin d’avoir été baillés à sa

  1. « Portabat caligas ligatas multis ligis fortiter colligatis. » (Procès de réhabilitation, t. III, p. 147.)
  2. Les premiers témoignages qui se rencontrent sur ce point sont ceux des deux chevaliers, alors dans toute la fougue de leur jeunesse, qui conduisirent la pucelle jusqu’au roi, après un voyage durant lequel ils reposèrent onze nuits à côté, d’elle, presque toujours sous l’abri des forêts : « Dixit etiam eundo quod ipse testis et Bertrandus qualibet nocte jacebant cum eà insimul, sed ipsa puella, juxta eumdem testem, suo gippono et caligis vaginatis induta, et quod eam item testis timebat taliter quod non ausus fuisset eam requirere ; et per suum juramentum dixit quod numquâm habuit voluntatem ad eam, neque motum carnalem. » (Proc. de réhab., t, II, p. 436.) — Bertrand de Poulengy raconte les mêmes faits que Jean de Metz et presque dans les mêmes termes. [Procès, t. II, p. 457.) Le prestige qui avait protégé Jeanne dans la solitude des forêts se maintint dans la liberté des camps, au sein d’un débordement universel. Ceci est attesté par tous les compagnons d’armes de la pucelle. On lit dans la déposition du comte de Dunois : « Non crédit aliquam mulierem plus esse castam quam ipsa puella erat. Affirmat prœtereà dictus deponens quod similiter ipse et alii, dùm erant in societatem ipsius puellae, nullam habebant voluntatem seu desiderium habendi societatem mulieris, et videtur ipsi deponenti quod erat res quasi divina. » (Proc. de réhab., t. III, p. 15.) — La même observation est présentée par la plupart des chevaliers entendus dans l’enquête de réhabilitation, entre autres par Rodolphe de Gaucourt et Simon de Bellecroix ; mais rien n’égale, en ce qui touche les particularités les plus secrètes de la vie de la pucelle, l’intérêt que présente la déposition de Jean d’Aulon, le guerrier le plus respecté de l’armée, que Charles VII avait attaché en qualité d’intendant à la maison de la pucelle. La naïveté de cette déposition, reçue à Lyon, et qui n’a point été couverte au procès par le voile d’une langue morte, interdit d’en reproduire les termes. (Proc. de réhab., t. III, p. 219.) On trouve d’ailleurs un témoignage de l’opinion universelle des contemporains sur l’atmosphère de chasteté que Jeanne étendait en quelque sorte autour d’elle dans la Chronique de la Pucelle, publiée par Denis Godefroy, et qui, malgré ses lacunes, est très probablement l’œuvre d’un témoin oculaire (t. IV, p. 250). — Voyez aussi la lettre écrite du camp royal, le 21 juin 1429, par Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, t. V, p. 114.