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des flots de lumière. Dans des aperçus originaux joints à sa publication, M. Quicherat a exposé avec une courageuse liberté les convictions qu’a suscitées dans son esprit ce long commerce avec une femme dont les actes, soumis à la plus rigoureuse analyse, demeureraient sans nulle explication plausible, si l’on n’en acceptait l’interprétation qu’elle en donne elle-même.

Je voudrais dire quelles impressions m’a laissées cette étude d’un intérêt sans égal, et, à l’aide de travaux dont l’honneur appartient à d’autres, replacer Jeanne d’Arc dans le milieu tout plein de troubles et de passions où elle a vécu et souffert. Je n’aurai garde, on le comprend, de rappeler tous les incidens d’une histoire qu’on sait par cœur ; mais je signalerai les aperçus nouveaux suggérés par tant de documens ignorés, et je démontrerai facilement, je crois, pièces en main, que les esprits les plus raisonnables en cette matière sont ceux qui, n’y portant aucune idée préconçue, consentent à incliner leur raison devant des faits dont l’évidence accable et confond.

L’époque où parut Jeanne d’Arc appartient à ces temps durant lesquels les sociétés flottent incertaines entre une pensée dont l’énergie s’est épuisée et une idée qui ne s’est pas encore résolument produite. L’Europe avait vu finir dans les scandales et les perplexités du grand schisme l’ère magnifique durant laquelle l’église s’était épanouie dans sa plus éclatante fécondité. L’esprit humain n’était pas encore en révolte ouverte contre la foi ; mais le scepticisme germait en s’ignorant lui-même, comme la larve du ver caché au calice d’une fleur encore brillante. Venue entre les croisades et la réforme, Jeanne d’Arc allait dans sa courte carrière subir la double influence de saint Louis et de Calvin. L’esprit de l’un explique en effet les merveilles de sa vie, et l’esprit de l’autre ne fut point étranger aux impitoyables rigueurs de sa mort. La France était trop croyante pour ne pas l’acclamer dans l’éclat de sa victoire ; mais elle ne l’était plus assez pour la soutenir jusqu’au bout dans l’obscurcissement de sa fortune et l’amertume de ses épreuves.


II

La lutte ouverte entre la France et l’Angleterre après l’avènement de la maison de Valois avait eu des phases diverses : dans sa première période, elle avait été un grand duel engagé entre deux dynasties pour la suprématie de l’Europe occidentale ; car si la guerre commença d’abord sous Philippe de Valois avec une certaine hésitation de la part des populations françaises, qui flottaient incertaines entre deux maisons dont aucune ne leur était étrangère, elle avait pris bientôt, grâce à l’habile politique de Charles V servie par l’héroïsme