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et tous ont constaté la pureté d’une vie sur laquelle il n’est pas un témoignage contemporain qui ne concorde, même devant le tribunal de l’évêque de Beauvais.

Jeanne d’Arc était donc à peu près réhabilitée pour le XIXe siècle[1] ; mais si le pays avait retrouvé le respect de son nom, c’était sans la connaître encore : la France n’avait jamais été admise à contempler face à face, dans la naïveté de ses vertus, l’amertume de ses épreuves et les sublimes élancemens de son âme, l’être unique dans l’humanité et dans l’histoire sans lequel ce pays aurait cessé de compter au rang des nations. L’un des plus sérieux services qu’on pût rendre à la France, c’était de lui montrer ce qu’elle vaut aux yeux de Dieu par la grandeur même des moyens qu’il emploie pour la sauver.

Un étranger qui porte dignement un nom illustre a le premier de nos jours appelé l’attention de l’Europe savante sur un épisode qui suscite tant de problèmes de psychologie et d’histoire. M. Guido Goerres a passé le Rhin pour l’étudier à ses sources : il a présenté à sa patrie dans sa vérité grandiose la physionomie de la sainte guerrière, non moins défigurée par les romanesques inventions de Schiller que par les brutalités de Shakspeare ; mais c’était à la science nationale qu’était heureusement réservé l’entier accomplissement de cette œuvre de haute justice et de haute critique. Elle a été accomplie par M. Quicherat avec un savoir, une conscience et une méthode qui font de sa grande publication sur Jeanne d’Arc l’un des monumens les plus précieux et les plus utiles de l’érudition moderne. M. Quicherat a édité le texte intégral des deux procès : il a mis chacun en mesure de contempler la fière jeune fille devant ses juges dans l’incomparable grandeur de son patriotisme et de sa foi ; il a vulgarisé des détails ignorés ou travestis de l’enquête ouverte pour la réhabilitation de la victime, enquête dans le cours de laquelle de nombreux témoins, paysans, prêtres, princes et guerriers, viennent révéler jusqu’aux plus secrets mystères de la vie de Jeanne.

À ces documens, éclairés par un commentaire sobre et sage, M. Quicherat a joint la totalité des textes inédits ou incomplètement publiés émanant des contemporains de la pucelle, que ceux-ci aient écrit en vers ou en prose, en France ou au dehors, et il a donné d’ailleurs un développement égal aux publications du parti français et à celles de la faction anglo-bourguignonne. Le lecteur se trouve donc placé désormais en présence d’une masse de témoignages d’où jaillissent

  1. Cette réhabilitation ne s’étend pas encore d’ailleurs au-delà de nos frontières : il suffit, pour en rester convaincu, de lire le jugement que porte sur la pucelle d’Orléans le plus illustre historien contemporain de l’Angleterre catholique. Voyez Lingard, Hist. of England.