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papauté à une cause ecclésiastique dans laquelle l’accusée en avait appelé au souverain pontife. Parmi tant de preuves qu’on pourrait en apporter, il suffit de citer un seul témoignage, parce qu’il appartient à l’un des plus courageux citoyens d’un temps qui en comptait peu. Dans un long mémoire adressé aux états tenus à Blois en 1433, Jouvenel des Ursins expose les succès miraculeux obtenus par le roi Charles VII, et les attribue à la grâce de Dieu et au courage de ses chevaliers, sans nommer la sainte martyre dont les cendres fumaient encore, et qui avait été le bras de l’un et l’inspiratrice des autres.

De telles ingratitudes ne deviennent possibles que par la fascination de l’esprit de parti, ou par la sceptique lassitude qu’engendrent d’ordinaire les profondes perturbations et les longues calamités. Jeanne d’Arc épuisa dans leur cruelle amertume des douleurs morales plus aiguës que celles du bûcher. Les mauvais vouloirs qu’elle rencontra, la suspicion dont elle fut l’objet au sein même du camp royal torturèrent sa vie, non pas seulement dans le silence de son cachot, mais au milieu de ses succès et dans l’enivrement de la faveur populaire. Les sentimens de doute, de méfiance et de jalousie qui arrêtèrent l’élan de la France au jour de son supplice, et dont le roi ne se départit lui-même qu’avec une sorte d’hésitation après un silence de vingt années, s’étaient développés sitôt son arrivée à la cour ; ils la contrarièrent dans la plupart de ses desseins et la découragèrent dans ses plus hautes inspirations, lors même que des succès prodigieux venaient chaque jour imprimer à ses actes le sceau d’une miraculeuse consécration. Tels furent les obstacles puissans, quoique secrets, qui l’arrêtèrent court au milieu de sa carrière inachevée, et ce fut aussi sous l’influence de ces sentimens-là que se développa, dans le parti de Charles VII, une opinion acceptée par la postérité, et suivant laquelle Jeanne aurait eu le tort grave de prolonger sa mission, strictement limitée par le ciel à la délivrance d’Orléans et au sacre de Reims. La génération suivante, quelque sincérité qu’elle y mît d’ailleurs, ne jugea les actes de cette noble fille que sous le reflet des passions qui avaient empoisonné sa vie, et qui l’empêchèrent d’accomplir jusqu’au bout la tâche véritable qu’elle s’était toujours donnée, celle de bouter jusqu’au dernier les Anglais hors de toute France.

L’opinion bourguignonne, qui était celle des classes lettrées, produisit d’ailleurs plus d’écrivains que le parti armagnac, et les plus modérés ne manquèrent pas de présenter le rôle de celle qui avait relevé la fortune de Charles VII et de la France sous un jour peu bienveillant, laissant volontiers douter si un tel secours était venu au dauphin du ciel ou de l’enfer, si la pucelle dirigeait réellement les chefs de guerre ou si elle était conduite par eux, si elle avait été