Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travail qu’ils vont commencer, c’est l’union du père et de la mère. Si la femme n’est pas dévouée à sa tâche, si Rachel ne vient pas en aide à Jacob, comment s’accomplira cette transformation laborieuse ? Il y a encore un autre membre de la famille qui paraît souffrir en secret de la décision, de Rebb Schlome. Élie n’est pas un robuste garçon comme son frère aîné Anschel ; il a eu une enfance maladive, il est taciturne, il souffre et je ne sais vraiment ce qu’il deviendra dans la rude existence de la ferme. Élie aura du moins une consolation ; il est passionné pour la science. Disciple enthousiaste du Talmud, il passe ses journées dans la méditation et l’étude. Si vous avez lu dans les Mélodies hébraïques d’Henri Heine le poème de Jehuda-ben-ha-Levy, si vous vous rappelez cette poétique description de la halacha, véritable salle d’escrime, effrayant arsenal de problèmes et de décisions, tandis, que l’autre partie du grand livre des rabbins, celle qu’on appelle la hagada, est un jardin enchanté où fleurissent des milliers de légendes, un paradis, plein de fleurs, de chants d’oiseaux, de fontaines jaillissantes, où le lutteur va s’abriter à l’ombre et reposer son front, — si vous vous rappelez, disais-je, cette description magique, vous ne serez pas inquiet pour le pauvre fils de Rebb Schlome. Sous le toit de chaume de la ferme comme dans la sombre chambre du ghetto, il verra s’ouvrir tour à tour la salle d’escrime et le merveilleux jardin ; mais Nachime, que deviendra-t-elle ? Qui pourra calmer sa tristesse, adoucir ses rancunes ? Celle qui devrait être l’âme de la maison se sentira seule, abandonnée… Ce ne sont là toutefois que des pressentimens ; l’auteur, qui les fait entrevoir, a d’autres scènes encore à raconter avant de nous montrer la tribut juive à la charrue.

Rebb Schlome va donc partir avec toute sa famille. Nachime a pleuré comme un enfant, mais elle a bien été obligée de se soumettre. Seulement lorsqu’on veut revenir un jour dans la maison que l’on quitte, (c’est une superstition des pauvres gens de la Bohême), il faut cacher un objet précieux, dans quelque coin de la muraille. Nachime vient de confier à une cachette obscure le collier que son mari lui donnait il y a vingt-cinq ans, à la fête des fiançailles. Le père, la mère, les trois enfans, ont pris place dans le fourgon qui doit les conduire à la ferme. Il y a la encore, un sixième personnage, un vieux cousin à moitié fou, le pauvre Coppel, armé du talisman, qui jouait un si grand rôle chez les Juifs du moyen âge. Ce talisman est une plaque de bois noir sur laquelle un losange de cuivre représente le bouclier de David ; au milieu du bouclier est tracé en grosses lettres dorées le mot Orient, en langue hébraïque misrach. Or le cousin Coppel est persuadé que son misrach a appartenu au roi David lui-même. David, poursuivant son fils Absalon, laissa tomber son mismach, à l’endroit le plus sombre de la forêt, et Coppel l’a retrouvé. Les tristes réflexions de l’insensé produisent un singulier effet au milieu