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une grande sainte. » Et levant les yeux sur un crucifix qui étoit auprès du lit, elle dit tout haut : Il Vous savez, Seigneur, ce que j’ai fait pour elle ! » La reine ne répondit rien, et Mme de Hautefort compta sûrement que le lendemain elle auroit un ordre de se retirer, et le lendemain en effet elle eut cet ordre comme elle l’avoit prévu. » Mme de Motteville, l’allant voir dans sa chambre avant son départ, la trouva « assez forte sur son malheur ; » mais son âme, qui d’abord n’avait pas jeté un seul soupir, finit par éclater avec force, à ce point qu’elle tomba malade. Le jour suivant, étant un peu remise et soulagée par deux saignées qu’on lui fit la nuit, elle sortit du palais « regrettée de tout le monde, » dit Mme de Motteville, et la reine ou plutôt Mazarin commanda qu’on ne fit aucune sollicitation en sa faveur[1]. Ce fut en ce moment que lui revinrent tristement à la pensée les prophétiques paroles que Louis XIII lui avait souvent répétées : « Vous avez tort ; vous servez une ingrate. » Mais Mme de Hautefort se souvint aussi de Louise de La Fayette, et elle résolut de l’imiter. Le vrai et sérieux christianisme, qui lui avait interdit de rester à la cour pour y être une duègne complaisante, lui montra l’asile placé au-dessus des disgrâces comme des faveurs des rois : elle se fit mener au couvent des Filles-Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine, et elle songea à y devenir religieuse.

Dieu en avait disposé autrement : Marie de Hautefort devait rester dans le siècle pour en être l’ornement et le modèle. Son malheur lui fit bien perdre quelques amis de cour : elle ne revit plus ni Mme de Motteville, qui l’aimait beaucoup et qui obéit à regret à la reine, ni même le chevalier de Jars, devenu avec l’âge et une riche commanderie bien différent de lui-même, et que retint la crainte de déplaire à Mazarin ; mais elle était faite pour avoir d’autres amis, qui lui demeurèrent fidèles et lui prodiguèrent dans sa disgrâce toutes les marques de considération et de tendresse. Ses adorateurs se réjouirent presque de la voir pauvre et persécutée, pour mettre à ses pieds leur fortune et leur cœur. Le duc de Ventadour, qui jusque-là lui avait fait une cour médiocrement accueillie, déclara hautement qu’il serait heureux de l’épouser, « quand elle n’auroit pas un double

  1. Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CVI, lettre de Gaudin à Servien du 17 avril : « Mme de Hautefort a eu son congé hier pour avoir parlé avec peu de respect à la reine. » Lettre de Mazarin à Béringhen pendant que celui-ci était en Hollande, du 16 avril : « Vous serez surpris de la nouvelle du congé que la reine donna avant-hier à Mme de Hautefort. La chose arriva sur quelque demande que faisoit à sa majesté ladite dame pour l’intérêt de quelqu’un de ses amis. Elle le porta si avant que de paroles en autres, sa majesté vint à blâmer la conduite de certaines personnes. Mme de Hautefort, ayant pris cela pour elle, mit le marché à la main de se retirer, ce que sa majesté, qui étoit déjà mal satisfaite de sa conduite, accepta sur-le-champ, et depuis a défendu à tout le monde de lui en parler. »