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Dans une soirée du mois d’août 1643 Anne d’Autriche, étant seule dans sa chambre avec une de ses femmes, Mlle de Beaumont, et Béringhen, premier valet de chambre du roi, se plaignit à eux de la conduite de leur amie et du peu de respect qu’elle témoignait pour elle-même et pour son gouvernement. Mme de Hautefort, qui était dans un cabinet voisin, entendit ce discours, et, se présentant à l’improviste, se défendit avec sa vivacité accoutumée. L’explication fut orageuse, et suivie d’un de ces raccommodemens, avant-coureurs certains d’une rupture inévitable. Mme de Motteville, honnête et bonne, mais toujours un peu femme de chambre, ne manque pas de prendre ici le parti de sa maîtresse. « Nous pouvons, dit-elle[1], dire nos avis à nos maîtres et à nos amis ; mais quand ils se déterminent à ne pas les suivre, nous devons plutôt entrer dans leurs inclinations que suivre les nôtres, quand nous n’y connoissons point de mal essentiel et que les choses par elles-mêmes sont indifférentes, » Voilà certes de belles maximes de cour, mais qui n’étaient pas à l’usage de Mme de Hautefort. Elle ne croyait pas du tout qu’il s’agît la d’une chose indifférente, et elle n’avait pas autrefois résisté à l’amour de Louis XIII, bravé Richelieu, joué sa liberté et sa réputation pour se réduire au métier d’une domestique complaisante. Mme de Motteville nous raconte ainsi la fin de la scène : « Les larmes furent grandes du côté de l’accusée, et les sentimens de même ; mais enfin, ayant témoigné un grand désir de ne plus déplaire à celle à qui elle devoit toutes choses, elle lui dit tout ce qu’elle put pour justifier ses intentions et l’emportement qu’elle avoit eu. La reine, qui étoit bonne et naturellement aimable, lui pardonna de bonne grâce, et, lui donnant sa main à baiser, lui dit en riant, pour apaiser son amertume : Il faut donc aussi, madame, baiser le petit doigt, car c’est le doigt du cœur, afin que la paix soit parfaite entre nous. » Mais ce n’étaient la de part et d’autre que de trompeuses apparences. Nous savons à quel point Anne d’Autriche était dissimulée, et Mme de Hautefort avait promis plus qu’elle ne pouvait tenir. Il lui échappait sans cesse de généreuses imprudences que l’habile Mazarin ne manquait pas de tourner contre elle. Sans s’en douter, elle était entourée d’une police attachée à ses pas. Comme autrefois Richelieu était parvenu à gagner une de ses meilleures amies, la belle et odieuse Mlle de Chémerault, son successeur avait aussi corrompu quelque valet ou quelque femme de chambre en relation habituelle avec la dame d’atours, et qui tenait note de toutes ses actions et de toutes ses paroles ; et lui s’empressait de les rapporter à la reine chargées et envenimées. Voici par exemple comment, dans les carnets

  1. Mme de Motteville, t.1er , p. 168.