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dans l’oratoire de la reine. Sa majesté y entra sans l’apercevoir ; elle avoit un chapelet dans une de ses mains, elle s’agenouilla, soupira, et parut tomber dans une méditation profonde. Un mouvement que fit ma mère la tira de sa rêverie : « Est-ce vous, madame de Brienne ? lui dit sa majesté. Venez, prions ensemble, nous serons mieux exaucées. » Quand la prière fut finie, ma mère, cette véritable amie, ou, pour parler plus respectueusement, cette servante fidèle, demanda permission à sa majesté de lui parler avec franchise de ce qu’on disait d’elle et du cardinal. La bonne reine, en l’embrassant cordialement, lui permit de parler. Ma mère le fit alors avec tout le ménagement possible ; mais comme elle ne déguisoit rien à la reine de tout ce que la médisance publioit contre sa vertu, elle s’aperçut, sans en faire semblant, ainsi qu’elle me l’a, dit elle-même après m’avoir engagé au secret, que plus d’une fois sa majesté rougit jusque dans le blanc des yeux ; ce furent ses propres paroles. Enfin, lorsqu’elle eut fini, la reine, les yeux mouillés de larmes, lui répondit : « Pourquoi, ma chère, ne m’as-tu pas dit cela plus tôt ? Je t’avoue que je l’aime, et je puis même dire tendrement ; mais l’affection que je lui porte ne va pas jusqu’à l’amour, ou si elle y va sans que je le sache, mes sens n’y ont point de part, mon esprit seulement est charmé de la beauté de son esprit. Cela seroit-il criminel ? Ne me flatte point : s’il y a même dans cet amour l’ombre du péché, j’y renonce maintenant devant Dieu et devant les saints, dont les reliques reposent en cet oratoire. Je ne lui parlerai désormais, je t’assure, que des affaires de l’état, et romprai la conversation dès qu’il me parlera d’autre chose[1]. » Ma mère, qui étoit à genoux, lui prit la main, la baisa, la plaça près d’un reliquaire qu’elle venoit de prendre sur l’autel : « Jurez-moi, madame, dit-elle, je vous en supplie, jurez-moi sur ces saintes reliques de tenir à jamais ce que vous venez de promettre à Dieu. — Je le jure, dit la reine en posant sa main sur le reliquaire, et je prie Dieu de me punir si j’y sais le moindre mal[2]. — Ah ! c’en est trop, reprit ma mère tout en pleurs, Dieu est juste, et sa bonté, n’en doutez pas, madame, fera bientôt connoître votre innocence. » Elles se remirent ensuite à prier tout de nouveau, et celle dont j’ai su ce fait, que je n’ai point cru devoir taire à présent que la reine a reçu dans le ciel la récompense de ses bonnes œuvres, m’a dit plusieurs fois qu’elles ne prièrent jamais l’une et l’autre de meilleur cœur. Quand elles

  1. Le cardinal lui parlait donc d’autre chose.
  2. Voilà qui est bien fort et nous persuaderait tout à fait, si nous ne nous souvenions qu’en 1637, sortant de communier, Anne jura sur la sainte eucharistie qu’elle venait de recevoir, et sur le saint de son âme, qu’elle n’avait pas une seule fois écrit en Espagne, tandis que pas tard elle fit des aveux bien contraires à ses premiers sermens.