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Nous n’osons pas aller aussi loin, bien que nous soyons très convaincu que les historiens n’ont guère été plus justes envers Anne d’Autriche qu’envers Louis XIII, et ne lui ont pas donné le rang qu’elle mérite.

Jusqu’où a pu aller la liaison de la reine et de Mazarin, nous ne chercherons pas à le décider ; nous n’affirmons qu’une seule chose, la seule aussi qui importe à l’histoire : c’est que la reine a eu pour son ministre un sentiment de la nature la plus tendre, qui a donné sur elle à Mazarin un suprême ascendant, et explique le prodige de son inviolable fidélité au cardinal pendant tant d’années et au milieu des plus grands dangers. Sans doute d’autres causes concoururent avec ce sentiment, son aversion pour les affaires, l’évidente incapacité des deux premiers rivaux de Mazarin, l’évêque de Beauvais et le duc de Beaufort, l’absence de Mme de Chevreuse en ces premiers momens décisifs, l’impossibilité de mettre d’abord Châteauneuf à la tête du gouvernement malgré l’opposition de M. le Prince et surtout de sa femme, le respect de la volonté dernière de Louis XIII, les heureux débuts et les succès toujours croissans du cardinal jusqu’au commencement de la fronde ; mais selon nous ces diverses causes avaient elles-mêmes besoin d’un secret et plus puissant appui dans le cœur d’Anne d’Autriche.

Oui, Anne d’Autriche a aimé Mazarin. Comment en douter devant le passage suivant des Mémoires du jeune Brienne[1] ? « Peut-être, et je ne le désavoue pas, la reine accorda-t-elle son estime au cardinal avec trop peu de ménagement. Quoiqu’il n’y eût sans doute en cela rien que d’innocent, le monde, qui sera toujours méchant, ne put s’empêcher d’en parler en des termes peu respectueux, et la licence alla si loin que chacun crut voir ce qui n’étoit pas, et que ceux même qui le croyoient le moins l’assuroient comme véritable. La galanterie de la reine, s’il y en a eu, étoit toute spirituelle ; elle étoit dans les mœurs, dans le caractère espagnol, et tenoit de ces sortes d’amours qui n’inspirent point de souillures ; j’en puis au moins juger ainsi d’après ce que m’a raconté ma mère. La reine avoit pour elle beaucoup de bonté, et ma mère, qui l’aimoit sincèrement, osa l’entretenir un jour de ces mauvais propos. Voici, comment la chose se passa. C’étoit à l’époque où la faveur du cardinal auprès de la reine éclatait librement aux yeux de la cour, et quand le monde malin, comme j’ai déjà dit et ne puis trop répéter, faisoit le plus de bruit de leurs prétendues amours. Mme de Brienne s’étoit un soir recueillie, selon sa coutume, quelques instans

  1. Mémoires inédits de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, etc., par M. Barrière ; Paris, 1828, t. II, p. 39.