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Cussy (domestique de la reine) pour vous conjurer de me venir trouver aussitôt qu’il vous aura donné celle-ci. Je ne vous dirai autre chose, l’état où je suis après la perte que j’ai faite ne me permettant que de vous assurer de mon affection, laquelle je vous témoignerai toute ma vie, et que je suis votre bonne amie et maîtresse[1].

« ANNE. »


Pour faire honneur à son amie et lui marquer davantage son empressement à la voir, la reine lui envoya sa propre voiture. Mme de Hautefort rentra donc à la cour en triomphe ; elle reprit sa charge de dame d’atours ; elle put croire que ses épreuves étaient terminées, et qu’elle avait enfin touché le port.


III

Marie de Hautefort avait vingt-sept ans en 1643. La jeune femme avait remplacé la jeune fille. Tout en restant modestes, ses manières étaient devenues plus aisées. Elle se livrait davantage aux plaisirs de la conversation et de la comédie, à la lecture des poètes français et italiens, à celle des romans du jour. Avec sa délicatesse et sa fierté, ses grands sentimens et son amabilité, elle était faite pour être un des ornemens de l’hôtel de Rambouillet, une digne amie de l’illustre marquise, de sa fille Julie et de Mme de Sablé, une véritable et parfaite précieuse ; elle le devint sous le nom d’Hermione[2], et toute sa vie elle en garda la réputation. Il était difficile d’unir plus d’agrément à plus de solidité. La sérénité de son âme passait dans ses propos enjoués, qu’animait une plaisanterie assez vive, mais toujours du meilleur goût. Elle donnait un tour heureux aux moindres choses, elle récitait admirablement les vers, savait jouer de la guitare, chantait bien, et écrivait des lettres fort jolies. Pour son caractère, on ne savait ce qu’on devait y admirer le plus, de l’élévation ou de la bonté. Assez libre et même un peu fière avec les grands, elle était douce aux inférieurs, et d’une bienfaisance égale à son désintéressement. Elle était donc honorée et aimée de tout le monde, et pardessus tout cela les grâces incomparables de sa personne semaient autour d’elle les adorateurs.

Nous avons dit un mot de la passion respectueuse qu’éprouva

  1. Nous devons ce billet au père Griffet, dans son excellente et trop peu appréciée Histoire de Louis XIII ; c’est sans doute un abrégé qu’en a voulu donner Mme de Motteville, lorsqu’elle dit, t. Ier, p. 164, que la reine avait écrit de sa propre main à Mme de Hautefort « qu’elle la priait de revenir, qu’elle ne pouvait goûter de plaisir parfait si elle ne le goûtait avec elle, » et ces mêmes mots : « Venez, ma chère amie, je meurs d’impatience de vous embrasser. » L’abrégé est plus tendre que la lettre même.
  2. Saumaise, le grand Dictionnaire des précieuses, 1661, t. Ier, p. 218.