Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la société féodale, pour mettre irrévocablement le pouvoir royal au-dessus d’une aristocratie excessive, mal réglée, turbulente, pour empêcher les protestans de former un état dans l’état et les faire ployer sous la loi commune, pour arrêter la maison d’Autriche, maîtresse de la moitié de l’Europe, pour agrandir le territoire français, pour introduire un peu d’ordre et d’unité dans la société nouvelle, pleine de force et de vie, mais où luttaient les élémens les plus dissemblables, il fallait une vigueur extraordinaire, et peut-être pour quelque temps une dictature éclairée, un despotisme national et intelligent. Mais le despotisme a besoin d’être vu à distance : de trop près, il révolte les cœurs honnêtes, et tandis qu’aux yeux de la postérité la grandeur du but excuse en quelque mesure, non pas l’injustice, qui jamais ne peut être excusée, mais l’extrême sévérité des moyens, c’est alors la dureté des moyens qui, en soulevant une indignation généreuse, offusque et fait méconnaître la grandeur du but. Qui de nous, parmi les plus fermes partisans de Richelieu, eût été sûr de lui-même et d’une admiration fidèle devant tant de coups frappés sans pitié, devant tous ces exils, devant tous ces échafauds ? Les contemporains ne virent guère que cela : Richelieu laissa une mémoire abhorrée, et, vivant, il n’eut pour lui qu’un très petit nombre de politiques, à la tête desquels était Louis XIII ; encore celui-ci, à la mort de son redouté ministre, en approuvant et en gardant le système, fut d’avis de le pratiquer différemment. Mettons-nous donc à la place d’une jeune fille sortie d’une race féodale, introduite à la cour par la reine-mère et jetée à quinze ans dans celle d’Anne d’Autriche. Disons-le : plus son cœur était noble, moins son esprit pouvait voir clair dans le fond des affaires du temps. Mlle de Hautefort ne connaissait ni les intérêts de la France, ni l’état de l’Europe, ni l’histoire, ni la politique. Tout son esprit, si vanté pour sa vivacité et sa délicatesse, était incapable de percer les voiles du passé et de l’avenir, et le présent la blessait dans tous ses instincts d’honneur et de bonté. Gracieusement accueillie par Marie de Médicis, au bout de quelques mois elle l’avait vue exilée, et elle apprenait que sa première protectrice, la femme d’Henri le Grand, la mère de Louis XIII, dont les torts surpassaient son intelligence, était réduite à vivre en Belgique des secours de l’étranger. Elle n’avait pas connu la première jeunesse un peu légère d’Anne d’Autriche. Depuis 1630, elle n’avait rien aperçu qui pût choquer la sévérité de ses regards. Elle trouvait fort naturel qu’abandonnée et maltraitée par son mari, la reine en appelât à son frère le roi d’Espagne, et qu’opprimée par Richelieu, elle se défendît avec toutes les armes qui lui étaient offertes. Elle voyait les malheurs de la reine, et elle croyait à sa vertu. N’oubliez pas la piété fervente qui lui faisait accompagner avec joie Anne