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elles les yeux sur le danger du système démocratique dont elles ont adopté toutes les exagérations ? comprendront-elles le vice des théories de self-government que les diplomates de l’Union paraissent avoir pour mission de prêcher dans ces petits états, bouleversés par d’incessantes révolutions, où ils applaudissent aux plus odieux triomphes de la force, comme M. Wheeler vient de le faire sans scrupule au Nicaragua ? C’est à peine si nous osons l’espérer. Et pourtant rien ne sauvera le Mexique, rien ne sauvera l’Amérique centrale tout entière d’invasions comme celle du colonel Walker, si ce n’est une meilleure discipline politique maintenue par des gouvernemens plus forts, des institutions plus stables que tout ce qu’on y a essayé jusqu’à présent. C’est à la faveur d’une guerre civile qui avait épuisé toutes les forces vitales du pays, en se donnant pour l’allié des démocrates insurgés contre l’autorité légale, qu’un aventurier audacieux a pu occuper une des plus importantes positions du globe. Il y fait fusiller sans miséricorde les hommes qui, après avoir courbé la tête dans un premier moment de surprise et de terreur, comme on livre sa bourse au brigand qui vous couche en joue, ont ensuite cherché à relever le drapeau national. Le général Corral, dont l’exécution est certaine, a été jugé par un conseil de guerre, où pas un nom ne révèle la présence d’un homme de race espagnole, et mis à mort pour avoir exprimé dans une lettre au général guatémalien Guardiola les vœux d’un patriotisme honorable. Reconnu solennellement et sans hésiter par l’envoyé américain, M. Wheeler, dont nous parlions tout à l’heure, qui ne paraît pas se douter de l’énormité d’une pareille résolution, le gouvernement de Walker a aussitôt expédié un ministre aux États-Unis, Américain du Nord comme lui-même, nous n’avons pas besoin de le dire, et cette étrange entreprise, qui rappelle en plein XIXe siècle les conquêtes des Barbares ou les expéditions des pirates dans le moyen âge, prétend aux honneurs d’une société politique régulièrement constituée. Que fera-t-on à Washington en présence des protestations réitérées de tous les états qui avoisinent le Nicaragua, et qui se sentent menacés de son sort, protestations qui sans doute auront été communiquées à plusieurs puissances européennes ? Avouera-t-on M. Wheeler ? Recevra-t-on l’envoyé du prétendu gouvernement des flibustiers ? En un mot, s’associera-t-on à cette politique de revolver, qui, après avoir manqué ses débuts à Cuba, dans la Basse-Californie, sous les auspices du même Walker, et en Sonora, — hélas ! avec un nom français à sa tête, — a trouvé momentanément une meilleure chance au cœur de l’Amérique centrale ? C’est une épreuve sérieuse à laquelle va être soumis le gouvernement des États-Unis. En attendant, l’Amérique centrale se débat dans les convulsions. D’un côté les autres républiques protestent, et de l’autre le président de Guatemala, le général Carrera, vient, dit-on, de battre le gouvernement démocratique du Honduras, ce qui peut l’amener à marcher contre les envahisseurs du Nicaragua. Ainsi se succèdent et se poursuivent les révolutions d’une extrémité à l’autre de ce continent, de Mexico à Montevideo, de Bogota à Lima.

Qu’on rassemble ces traits épars, ceux qui appartiennent à la vieille Europe aussi bien que ceux qui peignent le monde nouveau, le plus caractéristique, le plus frappant, c’est la permanence de la guerre, de la lutte. Voilà comment se trouvent justifiés ceux qui annonçaient il y a quelques