Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ques états germaniques ne se trouvent d’avance satisfaits par les habiles ouvertures de la Russie, et ne croient inutile de s’associer aux conditions émanées de l’initiative européenne. Que les meilleures résolutions de certaines cours germaniques ne soient point de longue durée et ne tiennent pas devant la première parole de la Russie, il ne faut pas bien s’en étonner ; mais de tous les états de l’Allemagne, celui dont la politique est la plus étrange, c’est certainement la Prusse.

Les mobilités et les tergiversations de la Prusse ne peuvent plus surprendre ceux qui suivent depuis l’origine cette grande crise, et cependant elles semblent en vérité prendre un caractère toujours nouveau. Les propositions récemment concertées entre l’Autriche, la France et l’Angleterre ont été communiquées au roi Frédéric-Guillaume par l’empereur François-Joseph. Le cabinet de Berlin a promis d’abord de les appuyer à Saint-Pétersbourg ; mais bientôt il s’est ravisé. Évidemment ce n’était plus là l’intérêt allemand ! Soit par une instinctive répulsion pour tout ce qui ressemble à une démarche sérieuse, soit par un mouvement d’incurable jalousie à l’égard de l’Autriche, ce fantasque gouvernement n’a plus voulu appuyer de son influence les conditions adoptées par les trois puissances, et non-seulement il n’a point voulu jusqu’ici intervenir à Pétersbourg, mais encore il a cherché à retenir les autres états secondaires de l’Allemagne, disposés à seconder la mission du comte Esterhazy. Il s’est efforcé de leur représenter comment, après tout, on demandait à la Russie plus que la neutralisation de la Mer-Noire. Quand nous disions que les chances de la paix diminuaient à mesure que la négociation approchait de son terme, c’était en tenant compte de ces tergiversations et de ces faiblesses, qui semblent toujours assurer à la Russie une neutralité utile, bienveillante et permanente. Tout n’est point perdu peut-être absolument, des conseils plus sages peuvent prévaloir ; mais l’instant est décisif pour l’Europe comme pour la Russie, comme pour l’Allemagne et la Prusse. Après avoir étonné le monde par des évolutions qui l’ont fait tomber du rang de puissance de premier ordre, la Prusse pouvait s’emparer de ce moyen de rentrer dans le concert de l’Europe, elle pouvait saisir l’occasion aux cheveux, comme le disait le grand Frédéric dans une circonstance où cela était infiniment moins moral et moins politique, lors du premier partage de la Pologne. Malheureusement Frédéric II ne règne pas à Berlin, et si le nom de la Pologne revient dans ces formidables débats, ce ne sera point à l’occasion d’un partage nouveau. La Prusse serait pourtant intéressée la première à écarter le péril de ces complications qu’elle redoute et qu’elle appelle par l’irrémédiable inconsistance de sa politique. Certes l’Allemagne désire la paix ; c’est au nom de cet intérêt qui lui est si cher qu’elle pesait naguère de ses conseils et de ses plaintes à Pétersbourg : aujourd’hui cependant, avec le fanatisme de la paix, faute d’un peu de résolution, elle nous conduit peut-être par le plus droit chemin à la guerre la plus menaçante pour le continent ! Quant à l’Autriche, le lien nouveau qu’elle vient de contracter avec les puissances occidentales, en marquant son attitude actuelle, semble indiquer qu’elle est irrévocablement décidée à aller jusqu’au bout ; mais quelle est la sanction immédiate des engagemens de l’Autriche ? Dans le nombre des combinaisons possibles, il y a évidemment une latitude où la circonspection du cabinet de Vienne peut se poser plus d’une étape.