Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle ne puisse jamais se posséder assez pour vaincre la froideur que lui a témoignée le public parisien. M. Mongini, jeune ténor à la voix un peu verte, a été plus heureux dans le rôle d’Elvino, où il a montré du sentiment et des dispositions de chanteur. Il ne faudrait pas cependant qu’il se fit illusion sur l’accueil bienveillant et de simple encouragement qu’on lui a fait. On nous promet bientôt la reprise du Matrimonio segreto de Cimarosa… Allegria in casa è questa !

Le théâtre de l’Opéra-Comique vit un peu de sa gloire passée, et, malgré l’habileté bien connue de son directeur à manier le télégraphe de la publicité, les succès ne répondent pas aux efforts qu’on fait pour les obtenir et les fixer. Pour les observateurs attentifs, il se passe dans ce moment-ci quelques phénomènes de bon augure qui pourraient avoir la plus heureuse influence sur les destinées de la musique dramatique. Fatigués d’être les dupes de tant de succès imaginaires, les éditeurs resserrent leurs bourses et se refusent à faire graver les chefs-d’œuvre qu’on vient leur offrir. Ils ont compris un peu tard peut-être que ces opéras, qu’on fait réussir bon gré mal gré pendant quelque temps au théâtre, ne sont que des cadavres galvanisés par les prestiges de la mise en scène. Le public, qui commence aussi à se réveiller et à vouloir autre chose que des points d’orgue illustrés et des facéties de caporal, se met de la partie et n’achète plus de musique qu’après l’avoir entendue dans les salons, où l’on chante autre chose que des vaudevilles. Voulez-vous un exemple récent de cette justice de l’opinion se faisant jour à travers les acclamations dès journaux et les applaudissemens organisés du parterre ? Voyez le sort déplorable du Hussard de Berchini, opéra-comique en deux actes, de M. Adam. Sa naissance a été célébrée sur tous les tons et par tous les instrumens… Je passai ;… il n’était déjà plus. En écoutant cette partition très légère, il nous vint à l’esprit le mot de Grétry à propos d’un opéra très sombre de Méhul, Uthal : « Je donnerais bien un petit écu, dit l’auteur de Richard, pour entendre une chanterelle. » Nous aurions fait le même sacrifice à la première représentation du Hussard de Berchini, pour une bonne modulation dont le besoin se faisait sentir, particulièrement dans le joli trio du premier acte, le seul morceau qui mérite d’être signalé. Que Rossini est heureux ! Non-seulement il a fait le Barbier de Séville et Guillaume Tell, mais il lui a été donné encore d’assister à la répétition générale du Hussard de Berchini ! C’est M. Adam lui-même qui a ménagé à son illustre ami cette agréable surprise. Un nouvel opéra-comique en trois actes, les Saisons, qui a été représenté le 22 décembre, a donné lieu à des incidens dramatiques que depuis longtemps on n’avait vu se produire dans un théâtre de Paris. Irrité des applaudissemens effrénés que l’ignoble phalange qui siège au parterre prodiguait à une pièce ennuyeuse, le public a fait prompte et bonne justice d’une œuvre estimable sans doute, qu’on voulait soustraire à son jugement. Nous étions heureux d’entendre ces protestations et de voir le public revendiquer un droit dont il s’était laissé dépouiller au grand détriment de la vérité, de l’art et des artistes.

Rien de plus simple que le sujet des Saisons : c’est l’éloge du blé et de la vigne prolongé pendant trois actes et quatre tableaux. Tantôt c’est le blé qui