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et dont l’œuvre tout entière est destinée à la mort, car en musique, comme dans les autres arts, on ne vit que par le style. Quand l’Italie se réveillera, elle sera fort étonnée, nous l’espérons pour son salut, de contempler de près l’objet de ses nouvelles et folles amours. En attendant cette résurrection, convenons que les représentations du Trovatore attirent la foule au Théâtre-Italien. M. Mario, qui avait été faible d’abord dans le rôle d’il trooatore qu’il chantait pour la première fois, s’est relevé avec éclat aux représentations suivantes, où il a trouvé de beaux élans, particulièrement, dans la romance du quatrième acte :

Ah ! che la morte ognora
E tarda nel venir
À chi desia morir !

Le rôle de Leonora, que Mme Penco a créé dans l’origine, a failli donner lieu à un épisode judiciaire. Prise d’un rhume subit, Mme Penco fut obligée de suspendre les représentations de l’opéra à la mode, où elle n’avait pas été à la hauteur de la Frezzolini. Celle-ci, qui n’était point engagée pour cette saison, offrit ses services à la condition qu’on ne la déposséderait plus d’un rôle où elle était admirable de distinction et de sentiment. J’ignore quelles seront les suites d’un incident qui nous a valu le retour de Mme Frezzolini, artiste du plus grand mérite, dont Mme Penco n’égalera jamais la suprême élégance et

il canto
Che nell’ anima risuona !


Quels regrets pour nous et pour le public che un’ anima si gentile soit trahie trop souvent par une voix qui s’éteint et une poitrine où je souffre, comme dit cette bonne Mme de Sévigné !

Si nous avions eu besoin d’un exemple pour apprécier la triste influence de ce qu’on appelle par-delà les monts l’école de M. Verdi, nous l’aurions trouvé dans Fiorina, o la Figliuola di Glaris, que le Théâtre-Italien nous a fait entendre pour la première fois le 8 décembre 1855. Il paraît que c’est à Vérone en 1852 qu’a été créé et mis au monde ce chef-d’œuvre de M. Carlo Pedrotti, qui a déjà fait le tour de la péninsule, mais qui ne fera pas le tour du monde, nous l’espérons bien. Qu’on s’imagine une historiette de village du genre le plus mais racontée par un musicien qui, à tout propos et hors de propos, embouche la trompette héroïque et le cornet à piston si chers à M. Verdi. Des unissons, du tapage, un fracasso del diavolo, des lieux-communs de Donizetti mêlés à des éclats de mélodrame qui appartiennent à l’auteur d’Ernani, voilà quels sont les élémens du style et de l’œuvre de M. Pedrotti. À la troisième génération de l’école de M. Verdi, il nous faudra envoyer en Italie des professeurs de solfège.

Une nouvelle cantatrice, Mlle Boccabadati, a débuté tout récemment dans la Sonnambula de Bellini. Sa voix de soprano, déjà frappée de vétusté, manque de corps ; sa vocalisation lourde et son style pâteux trahissent une éducation vicieuse. L’émotion très vive à laquelle Mlle Boccabadati paraissait en proie a dû paralyser un peu ses forces. Il y a lieu de craindre néanmoins