avait de fort drolatiques, tout à fait dignes du grand Schahabaham et de ces princes de l’Orient célébrés par Crébillon fils. Volontiers il eût dit, lui aussi, à un bouffon ou à une danseuse qui ne l’amusait pas : « Ah çà ! tâchez ne pas m’ennuyer, ou je vous fais couper la tête. » Un jour, une nouvelle esclave venue du Cachemire figura parmi les danseuses chargées d’égayer les après-dînées de sa majesté. Elle se nommait Nuna, et était extrêmement belle sous ce costume oriental qui voile les formes sans les cacher. La perfection de son beau corps, que l’on distinguait exactement sous ses voiles, attira l’attention du roi. Elle chanta, les accens de sa voix allèrent à l’âme du prince. Elle dansa, les souples mouvemens de ses membres remuèrent les sens de son maître. « Qu’on lui donne cent roupies, dit le roi, en récompense de son chant. » Le lendemain, les prodigalités redoublèrent : « Qu’on lui donne deux cents roupies, » dit le roi, — et lorsqu’il se leva, il ne voulut pas d’autre appui que le bras de Nuna pour l’accompagner au harem. Nuna était en grande faveur : « Vrai, je vous ferai bâtir une maison toute d’or, Nuna, dit le roi, et vous serez ma padshah begum. » Ces faveurs durèrent une semaine. « Eh mais ! s’écria Nussir un certain soir, comme il la regardait danser, elle m’ennuie. Je voudrais bien savoir quelle figure elle ferait sous le costume européen ! — Rien n’est plus facile, sire, répondit l’infernal barbier, toujours prêt à se rendre complice des méchancetés de son maître. On fit sortir Nuna, qui bientôt après reparut revêtue du costume des dames européennes ; mais sous cet attirail nouveau pour elle, elle était gauche et embarrassée, ses mouvemens étaient gênés, ses formes dissimulées ; toute sa beauté avait disparu. La pauvre fille sentit qu’elle était ridicule et se mit à pleurer à chaudes larmes. Quant au roi, il riait à gorge déployée. À partir de ce jour, le roi ne voulut plus la voir dans un autre costume que le costume européen. Pour échapper à cette persécution, Nuna demanda la permission de quitter la cour ; cette faveur lui fut refusée. Telle fut l’histoire de la grandeur et de la décadence de la danseuse Nuna. »
Les seuls favoris qui fussent à peu près à l’abri des caprices de Nussir étaient ses favoris européens, peut-être parce que la terrible compagnie les couvrait. Comme les Européens ne peuvent prendre de service à la cour du roi sans la permission du résident, la protection de la compagnie s’étend naturellement sur eux. À l’époque où notre auteur entra au service de Nussir, il y avait à la cour quatre Européens qui ne partageaient les faveurs royales ; il fit le cinquième. L’un d’eux était le professeur d’anglais du roi, le second son bibliothécaire, le troisième le peintre chargé de conserver à la postérité les traits de son auguste personne, et le cinquième son barbier. Ce dernier était le plus puissant. Comme on l’a vu, il connais-