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de nature humaine. L’homme y a la nature sauvage de la bête fauve, ses mouvemens souples et gracieux, ses cruautés soudaines et inexpliquées, sa soumission, sa témérité et sa timidité. Le même voyageur qui nous introduit à la cour du roi d’Oude nous montre des tigres et des éléphans qui, en vérité, agissent d’une manière exactement conforme à celle de Nussir. Le roi dans ses cruautés et dans ses repentirs ressemble, à s’y méprendre, à l’éléphant Malleer qui tue son mahout et puis se laisse doucement mener en laisse par un enfant. On se demande quels sont ici les personnages humains, et l’on est tenté de prendre pour des hommes les bêtes qui figurent dans ce récit. Le tigre Kagra prendrait la place du roi Nussir, et le roi Nussir la place du tigre Kagra, qu’on ne serait nullement étonné de la métamorphose ; l’un et l’autre ont exactement le même caractère.

Telle est la nature de ces Orientaux trop vantés, et à qui quelques-uns des dons les plus riches semblent n’avoir été accordés que pour marquer la différence entre le phénomène homme et les autres phénomènes naturels, et afin d’empêcher toute méprise trop grossière. Nussir-u-deen était un Oriental complet. Il était impossible de s’expliquer la raison de ses actions et de saisir le vrai fondement de son caractère. Il était cruel : pourquoi ? Demandez au tigre pourquoi il est cruel. Quelquefois il épargnait : était-il clément ? Demandez à la bête qui se détourne de sa proie sans qu’on en connaisse la raison si elle agit par clémence ? Il était impossible de savoir pourquoi il était féroce à telle heure plutôt qu’à telle autre. Un mouvement du sang, une démangeaison de la peau, une minute d’un soleil trop ardent étaient les raisons déterminantes de ses actions. Un mot malsonnant vous faisait trancher la tête ou enfermer dans une cage de fer. On ne l’abordait donc qu’à genoux, direz-vous, et sans doute on ne lui parlait que par derrière un voile, ainsi que chez les anciens Perses ? Eh ! non, il était bon enfant, très familier ; il se laissait parfaitement aborder, et il aimait à jouer avec ses favoris. Un jour il s’amusa à jouer avec eux au saut de mouton, prêtant gracieusement sa royale échine comme s’il eût été un simple écolier. Était-ce bonhomie ? Non, il obéissait tout simplement à cette loi naturelle, que les enfans suivent instinctivement et que les hommes qui ont quelque souci de leur dignité redoutent dans la vie, — l’égalité de tous dans le plaisir. Une autre fois, ayant entendu raconter qu’un des divertissemens de l’hiver en Europe était les combats à coups de boules de neige, il voulut se donner ce spectacle, et en un instant le jardin fut dépouillé de certaines fleurs qui, ayant quelque ressemblance avec les boules de neige, servirent de projectiles à la joyeuse compagnie. Nussir poussait même plus loin la familiarité : il aimait à boire et à s’enivrer, et il ne craignait point de se montrer à sa cour dans cet état ignominieux ; mais n’allez pas croire