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ples civilisés est appelé à rendre à l’humanité ce service de l’exploration du monde. L’Anglais peut être plein de préjugés, individuel, égoïste, incapable de s’assimiler les élémens étrangers ; mais il a un grand avantage sur le Français ou sur l’Allemand : il ne s’étonne de rien. Quand il part pour les antipodes, il ne se promet pas d’avance un plaisir tout nouveau, et ne s’effraie pas outre mesure de l’ennui qu’il va subir. S’il s’ennuie moins qu’il ne l’avait supposé, c’est tant mieux. S’il ne trouve pas ce qu’il espérait, c’est tant pis. Il n’éprouve donc ni illusions, ni désenchantemens. Il visite l’Inde ou l’Australie comme il visiterait une paroisse des environs de Londres, et il se conduit dans les plus lointains pays comme il se conduirait dans sa propre contrée, c’est-à-dire qu’il y dîne à ses heures habituelles, déjeune et dort à ses heures habituelles. Par conséquent, n’y fit-il même qu’une courte halte, il n’y passe pas, il y séjourne. Enfin, dernière qualité, il manque de la faculté d’assimilation et ne perd jamais son individualité. Le Français adopte vite les mœurs et les usages des peuples étrangers qui l’ont choqué d’abord. Il commence par se moquer des sauvages pour se faire sauvage lui-même huit jours après ; grande preuve de bonté naturelle, et en même temps grande preuve de faiblesse. Grâce à cette qualité ou à ce défaut, comme on voudra l’appeler, il est capable de passer au milieu des peuples, de partager leur existence, de se faire complice de leurs mœurs, sans se rendre mieux compte, au bout de tout cela, de leur nature et de leurs instincts qu’avant de les avoir visités. L’Anglais au contraire n’abdique jamais son individualité, excellente qualité pour bien voir, car les choses extérieures posent devant lui comme objets d’étude ou de simple curiosité. En un mot, les relations entre l’objectif et le subjectif sont mieux et plus sagement maintenues par l’Anglais que par le Français, qui s’identifie trop facilement avec l’objectif, et que par l’Allemand, qui assimile trop volontiers à son moi tout ce qui lui est extérieur.

Nous avons une preuve de plus de cette faculté d’observation propre aux Anglais dans le curieux livre intitulé la Vie privée d’un roi d’Orient. L’auteur, ancien officier au service de sa majesté Nussir-u-deen, second roi d’Oude, n’a point de système préconçu ; il n’est point un profond orientaliste, et il confesse même qu’il n’a jamais su d’hindoustani que ce qu’il lui en fallait pour se faire comprendre des indigènes et n’être point embarrassé au milieu d’eux. Il n’a aucune idée et ne donne à son gouvernement aucun conseil politique ; mais en revanche il connaît à fond les choses qui sont tombées dans le domaine de son expérience, il n’a perdu ni un mot, ni un geste. Sa description du royaume d’Oude est, si l’on peut associer des mots aussi contraires, une sorte de tableau hollandais de l’Orient. On a la le ménage et l’intérieur du roi d’Oude, sa cuisine, ses écuries, les