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encore aujourd’hui chez le fabricant aussi bien que dans le public. La plupart des fondeurs en renom nous reportent au goût déplorable qui domina l’Europe entière au XVIIIe siècle. Nous voyons dans presque tous ces bronzes le superflu et l’exagération, c’est-à-dire les signes infaillibles de l’impuissance. Et cependant une véritable renaissance s’est opérée depuis soixante ans : l’antiquité est venue pour la seconde fois redonner la vie à l’art, dont on désespérait ; les efforts des Winckelmann, des Lessing, des Stuart, des Mengs, des Müller, ont créé une ère nouvelle et féconde. L’érudition passionnée des savans a été heureusement contagieuse, et aujourd’hui tout le monde veut connaître la Grèce et l’Italie. Il est facile de suivre les efforts de cette réaction dans nos écoles de peinture et de sculpture : nous lui devons aujourd’hui nos maîtres les plus habiles, et qui ne voit maintenant la distance énorme qui sépare les compositions puériles des Vanloo, des Boucher et des Watteau, de la science sérieuse et élevée des artistes les plus éminens dont la France s’honore aujourd’hui ? Pourquoi donc l’art des bronzes ne participe-t-il pas à ce mouvement salutaire ? Pourquoi voyons-nous encore presque partout ces amours insolens qui pullulaient dans les petites maisons au temps de Mme de Pompadour ? Pourquoi souvent aussi cet art prétendu gothique, qui n’a du moyen âge que la raideur sans en avoir la naïveté ? Pourquoi ces troubadours de pendule et ces chevaliers bardés de fer ? — Telles sont les questions que la critique doit sérieusement adresser à la plupart de nos fabricans. Songeons toujours à l’influence utile que peuvent exercer sur le goût général les bronzes d’art les plus modestes et par conséquent les plus répandus, et n’oublions pas que les objets les plus humbles portent en eux leur idéal comme les monumens les plus somptueux. Plutarque nous apprend que Sylla, dans toutes ses expéditions, portait sur son sein une petite figure d’Apollon Pythien en bronze doré, et qu’il la baisait souvent. Eh bien ! les bronzes d’art, répandus partout aujourd’hui, sont comme les dieux de nos foyers domestiques. La possession nous y attache, et ils font presque partie de notre existence intime. Ayons donc soin de bien choisir ces divinités inspiratrices de notre goût : qu’elles développent le sentiment véritable de l’art, qui existe en germe chez la plupart d’entre nous, mais qui a besoin, pour se produire, d’être incessamment cultivé. Enfin qu’elles nous élèvent peu à peu vers les hautes régions d’où notre esprit ne doit jamais descendre.