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ont déjà l’avantage de nous rendre les originaux avec assez de fidélité pour que nous les puissions comprendre. Avant l’intervention de ces machines, les bonnes réductions, de l’antique surtout, étaient fort rares, car les artistes de premier ordre, seuls capables de comprendre ces chefs-d’œuvre, préféraient naturellement se livrer à leurs propres inspirations. Quant aux talens secondaires, qui s’occupaient seuls de ces sortes de travaux, incapables de supporter la responsabilité d’une tâche aussi lourde, ils défiguraient les originaux de la façon la plus fâcheuse. Le goût du jour donnait même à ces reproductions son empreinte spéciale. Regardez dans le parc de Versailles les nombreuses copies des statues antiques ; il ne manque à leur pesante majesté que les lourdes perruques de Louis XIV. Le siècle de Louis XV substitue la manière à la simplicité : il donne à la Vénus un regard lascif, et il ne lui manque que de la poudre, du fard, des mouches et un panier, pour être transformée en marquise. Sous la république enfin et sous l’empire, les dieux et les héros de la Grèce et de Rome ont la pédantesque raideur de ces tristes époques. Il était donc assez naturel que l’antiquité, travestie de la sorte, n’inspirât qu’une sympathie médiocre. Maintenant il n’en est plus ainsi, et tout le monde peut prendre une notion exacte de ces chefs-d’œuvre. Toutefois il y a encore beaucoup de soins, beaucoup d’art à apporter dans le travail de ces réductions. Comme elles se font par parties, il faut exécuter les soudures avec grande habileté, faire disparaître la trace des jets et des évents sans altérer le sentiment général du modèle. Ce sont là encore des difficultés réelles, et qu’on ne peut surmonter qu’à force de soins et d’intelligence[1].

À côté des réductions, l’art français des bronzes peut revendiquer aussi des créations originales, dont il a droit d’être fier. M.  Barye est un véritable artiste : il était né pour produire de grandes choses ; la fortune l’a contraint à en faire de petites, et, loin de se raidir contre le sort et de poser en génie incompris, c’est lui qui s’est mis à la portée de ceux qui ne le comprenaient pas. Il s’est fait fabricant de bronzes, et son talent exercera sans doute une salutaire influence sur le goût général de cette industrie. Les dispensateurs officiels de la renommée n’ont voulu voir en M.  Barye qu’un sculpteur de genre, et cependant toutes ses œuvres, petites de dimension, possèdent la véritable grandeur, celle de l’idée. Elles se recommandent autant par la

  1. Il serait injuste de parler des produits de M.  Barbedienne sans appeler l’attention sur les compositions charmantes de M.  Cahieux, jeune artiste d’un vrai talent et l’une des victimes du choléra de 1854. Il montrait avec un rare bonheur et une grande puissance d’invention ce que peut le génie moderne, lorsqu’il puise ses inspirations aux sources vives de l’antiquité. — Parmi les industriels qui nous ramènent vers l’antiquité, il faut citer encore M.  Delafontaine, qui s’inspire constamment aux sources les plus pures, et M.  Susse, qui dispose également d’un appareil de réduction dû à M.  Sauvage.