Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

singulière quand on pénètre pour la première fois dans cette salle merveilleuse, où l’on a la révélation inattendue d’une nouvelle branche de l’art antique. Là seulement il est possible de concevoir une idée juste de la perfection à laquelle les anciens avaient porté cette industrie des bronzes. C’est dans cette collection, plus riche à elle seule que tous les musées de l’Europe réunis, qu’il faut considérer quelques-uns des monumens les plus précieux de l’antiquité.

Le Mercure au repos du musée Bourbon peut être regardé comme un des types de la perfection dans l’art des bronzes, et on le rapporte avec raison à la plus brillante époque de la sculpture grecque. De quelque côté qu’on se place pour voir cette belle figure, l’œil est ravi par cette harmonie suprême des formes humaines, rendues avec tant de délicatesse, de force et d’idéal. À côté du Mercure il faut placer les deux Lutteurs, trouvés aussi à Herculanum en 1754. Ces deux statues, qui ornaient sans doute un gymnase grec, sont faites pour être mises en regard. Ces lutteurs courent l’un vers l’autre dans l’attitude de deux hommes dont chacun veut saisir son adversaire avec avantage. On les voit la tête basse, le cou rentré dans les épaules, le corps incliné en avant, les bras tendus et déjà préparés pour la lutte. Quelle fierté dans ce beau travail, quelle harmonieuse unité dans toutes les parties de ces figures ! On retrouve la un des plus beaux caractères de l’antiquité, qui savait tout exprimer avec noblesse, même les actions les plus violentes. L’art moderne sait rarement se garantir de l’exagération, et quand il veut exprimer la passion ou la force, il tombe presque toujours dans l’affectation. On pourrait comparer les lutteurs grecs du musée de Naples aux pugilistes de Canova du musée Pie-Clémentin, on aurait là en regard l’art antique et l’art moderne dans leur expression la plus élevée, et l’évidence qui résulterait de ce rapprochement justifierait notre assertion ; Dans les pugilistes de Canova, c’est l’expression qui est en excès sur la beauté, tandis que dans l’art antique l’expression reste toujours subordonnée à la beauté, but suprême de l’art.

Le Faune ivre, le Satyre endormi et le Faune dansant rappellent encore ce que l’antiquité a produit de plus élégant, et peuvent également être regardés comme des spécimens de la plus belle époque de l’art grec. On croit voir le sang et la vie circuler dans ces bronzes. Naples possède le buste de Sapho et celui de Platon, ce type de la beauté méditative, le plus précieux peut-être des monumens iconographiques de la Grèce. On y admire cette tête colossale de cheval qui est aussi un des plus beaux restes de la sculpture grecque[1]. L’art étrusque des bronzes est également représenté au musée Bourbon par plusieurs monumens dignes d’attention.

  1. Ce cheval existait encore au XIVe siècle ; il ornait alors une des places publiques