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avant la passion dans la raison, et sans calcul visible, sans efforts apparens, il atteignait le bût suprême de l’art en conservant dans son talent ce qu’admirait Grattan, et ce qu’on pouvait retrouver dans toute sa personne, le charme du naturel et une grandeur négligente[1].

Lorsqu’on a fait une connaissance intime avec le talent, l’esprit et le caractère de Fox, on s’explique mieux comment, malgré des fautes aisément reconnaissables et de continuels revers, son nom est resté grand dans son pays, et particulièrement cher à tous ceux dont le cœur bat pour la même cause. On est touché de voir en Angleterre dans combien de maisons le buste de Fox est placé avec honneur comme celui d’un défenseur, d’un guide, d’un ami. Son souvenir est partout. Dans la magnifique résidence de Woburn, lorsqu’après avoir longtemps marché sous les ombrages de ces beaux arbres et traversé des forêts de cèdres, on a visité cette collection innombrable de portraits qui semble la revue de l’histoire d’Angleterre, on arrive par un jardin d’arbustes rares et de fleurs précieuses à une galerie d’un style grec, remplie de vases, de bas-reliefs et de statues, et dans l’hémicycle en marbre qui la termine, comme dans un sanctuaire consacré à la liberté même par les soins du dernier duc de Bedford accomplissant les volontés de son frère, on voit le buste de Fox entouré des bustes de ses compagnons d’espérance et de travaux, éclairé de cette demi-lumière qui provoque le respect et la méditation. Une inscription latine du duc de Bedford, des vers de la duchesse de Devonshire témoignent à tous de la pieuse amitié qui éleva ce monument, et l’on comprend mieux comment dans cet heureux pays la tradition sert à soutenir l’ardeur des réformes et l’esprit de famille vient en aide à l’esprit de liberté.

Les amis de Pitt, ses continuateurs, ont dit que sa politique avait triomphé sur sa tombe, et après nos malheurs ils ont reporté jusqu’à lui l’honneur de leur victoire. Il n’en est pas moins vrai que sa politique a de son temps moins nui que servi aux progrès guerriers de la révolution, et qu’il a contraint ou autorisé son ennemi à ces efforts immenses qui, pour leur succès final, n’auraient eu besoin que de s’arrêter à temps. Il ne s’en est fallu que d’un peu de sagesse, ou d’une mort à propos, que le système fondé par Pitt échouât. Ce n’est pas lui qui a donné à Napoléon l’imagination démesurée et insatiable qui a fini par se jouer de sa raison ; on ne peut en conscience supposer que le ministre anglais ait médité de faire passer la France par l’excès de la grandeur pour qu’un jour l’orgueil enivré par la fortune se perdît. Si les choses ont en définitive tourné

  1. Le plus bel éloge de Fox se trouve dans un discours de Grattan que j’aurais cité si tout le monde ne l’avait lu, depuis que M. Villemain l’a traduit dans le deuxième volume de ses Souvenirs historiques.