Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours des choses à se rapprocher d’anciens adversaires ou d’alliés suspects il conçut une heureuse idée : c’était de saisir ce moment pour une motion en faveur des catholiques. Lorsque l’Irlande pouvait être le premier théâtre du débarquement des Français, il n’était pas inutile de se concilier une population mécontente, et de lui enlever tout prétexte d’espérer dans l’étranger ; en même temps, c’était un moyen d’éprouver le courage de la nouvelle opposition et de la compromettre avec la cour ; enfin c’était placer Pitt dans l’obligation de choisir entre son honneur et ses chances de réconciliation avec le roi. Fox disposait tout pour cette habile opération, lorsque le prince de Galles lui demanda une entrevue. Il avait toujours fait bonne mine à ses anciens défenseurs ; seulement il se laissait conduire par Sheridan, qui l’amusait et qui flattait tous ses goûts, et ses ressentimens contre Pitt l’avaient porté à une demi-bienveillance pour le ministère ; puis, exclu par la jalousie de son père de la participation qu’il réclamait aux mesures de défense du territoire, il souhaitait une coalition entre Grenville, Windham, Fox et Grey. Ses propositions furent écoutées ; on lui promit qu’il ne serait rien fait qui rendît cette alliance impossible. La motion pour l’Irlande, que Fox avait à cœur, lui semblait plutôt un moyen de faciliter un rapprochement ; mais le prince était incertain, Sheridan opposé ; les défenseurs avoués de l’Irlande, Grattan à leur tête, croyaient le moment mal choisi. Cependant on pouvait compter sur les Grenville ; on espérait le concours consciencieux de Wilberforce, le concours politique de Canning. Quant à Pitt, « il ne fera jamais le saut périlleux, » disait Fox. Un retard parut encore nécessaire. Fox toutefois ne renonça pas à son projet, fallût-il l’entreprendre seul avec Fitzpatrick, Whitbread, Francis. Il comptait sur ceux qu’il appelait les jeunes gens, parmi lesquels il distinguait surtout lord Henry Petty. En lui, il plaçait déjà de grandes espérances ; on sait si elles ont été justifiées. Il l’avait connu personnellement à Paris, où lord Henry avait fait le voyage qui commença ses relations avec tout ce que la France a de plus distingué. « Quelques mécomptes, écrivait Fox, que Lansdowne ait pu avoir dans sa vie publique, et malgré d’autres chagrins plus sensibles comme père de famille, il serait déraisonnable s’il ne regardait pas lord Henry comme la compensation de tous ses chagrins. »

Les choses en étaient là, lorsqu’on reçut la proposition formelle d’une coalition immédiate, et peu après l’on sut que le roi était repris de son ancien mal. Lord Spencer[1] et Windham portaient la parole au nom des Grenville ; on demandait à s’allier avec tout le

  1. Lord Spencer, ancien whig alarmiste, ministre avec Pitt, ne doit pas être confondu avec lord Robert, troisième fils du duc de Marlborough et membre persistant de l’opposition.