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Jones remplaça Joseph Andrews. Il avait la passion des romans, pourvu qu’ils peignissent la nature vraie comme Tom Jones, ou le monde de l’imagination comme les Mille et Une Nuits. Il aimait à mêler la prose et la poésie, et l’Arioste remplaça Virgile. Quelquefois il comparait l’Arioste à Homère, auquel pourtant il n’égalait rien. Il disait que, s’il vivait, il voulait voir Constantinople, seulement pour faire le voyage de l’Odyssée.

Tout en lisant et en causant, tout en voyant les musées des villes et en s’enquérant des choses de l’agriculture, Fox arriva à Paris et descendit à l’hôtel de Richelieu, qui était, dit-on, celui du trop célèbre maréchal, hôtel garni maintenant. L’air de contentement et de prospérité qui l’avait frappé depuis qu’il était en France lui parut à Paris plus saillant encore. Sa première visite fut pour le Théâtre-Français. On donnait Andromaque. Il admirait beaucoup Racine. Il écrivait une fois à lord Holland : « Je n’ai pas lu la Vie de Chaucer par Godwin, mais je l’ai regardée. Je remarque qu’il trouve l’occasion de montrer sa stupidité en n’admirant pas Racine. Cela me met dans une vraie colère.

Je veux contre eux faire un jour un gros livre,

comme dit Voltaire. Même Dryden, qui parle avec un respect convenable de Corneille et de Molière, vilipende Racine. Si jamais je publie mon édition de ses œuvres, je lui en donnerai pour cela, vous y pouvez compter. »

On devine que le Théâtre-Français dut lui plaire ; il était alors très florissant. Une actrice à ses débuts passionnait fort le public. Fox l’entendit souvent, surtout dans Phèdre ; c’était une de ses tragédies favorites. Il la mettait au même rang que la Phèdre d’Euripide, quoiqu’il préférât Euripide aux autres tragiques grecs. « C’est mon goût, quoique je ne sois pas sûr de n’être pas taxé d’hérésie. Il me paraît avoir plus de facilité et de naturel que Sophocle, qui certainement est plus achevé et plus exempt de grands défauts. » Quant au Théâtre-Français de 1802, voici comme il se résumait à son retour : « J’ai revu Mlle Duchesnois dans Phèdre, juste au moment de quitter Paris, et je l’ai trouvée beaucoup meilleure, quoique toujours inégale. Je l’ai vue aussi dans Roxane de Bajazet, je regarde que c’est de beaucoup son meilleur rôle. J’ai vu Lafond une ou deux fois, et je l’aime mieux que Talma. Dans Tancrède, je le trouve vraiment très bon, spécialement dans la bonne partie de Tancrède, qui est le troisième acte, et peut-être cet acte seulement[1]. »

La première fois qu’il vit jouer Phèdre, il fut reconnu. Son nom passa aussitôt de bouche en bouche. Tout le monde se leva, et les

  1. Lettres à Trotter, IV et XIII ; à lord Holland, Mémoires, t. III, p. 205.