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retraite à un ministère qui ne semblait pas le moins du monde ébranlé ? On venait de traverser une année difficile. La disette avait amené des émeutes, et la souffrance publique recrutait pour le parti de la paix. Était-ce la nécessité d’une négociation avec la France qui tout d’un coup décourageait les ministres ? Se regardaient-ils comme un obstacle à la paix ? n’y voulaient-ils pas contribuer, ou se croyaient-ils incapables de la conclure ? On leur a souvent prêté quelque pensée de ce genre, et l’on a écrit, surtout en France, que Pitt, regardant la paix comme inévitable et précaire, n’avait pas voulu y attacher son nom. Les événemens postérieurs ont tourné de manière à autoriser cette conjecture, et lorsqu’on le vit deux ans après ressaisir le pouvoir au moment où son pays reprenait les armes, on a pu dire et ses admirateurs ont prétendu qu’il avait prévu l’impossibilité de faire autre chose qu’une trêve avec le premier consul. Ainsi il se serait réservé pour l’œuvre immense de cette guerre de dix années qui ne finit qu’à Waterloo ; mais cette manière de concevoir sa politique se rapporte à ce personnage d’une grandeur un peu fabuleuse que ses adversaires même ont fait de lui. Le vrai Pitt n’avait point ces proportions odieuses et gigantesques ; il n’était pas le promoteur forcené de la guerre à tout prix. S’il se défiait de la France, de sa révolution, de son chef, on sait aujourd’hui qu’il n’eût été nullement fâché d’attacher son nom à la paix, surtout de se montrer à son pays capable de saisir toutes les chances d’accommodement. Sa conduite au commencement de 1801 s’explique par des raisons plus modestes et plus honorables.

Il ne s’était jamais déclaré l’ennemi de la liberté religieuse. Les droits des dissidens et par conséquent l’émancipation des catholiques n’avaient rien de monstrueux à ses yeux. Sur cette question, comme sur toutes celles qui n’intéressaient que la justice et l’humanité, il prenait le beau côté ; il parlait bien et ne concluait pas. C’était beaucoup que d’avoir exercé dix-sept ans un pouvoir supérieur à celui de Walpole et de Chatham, et de n’avoir rien fait pour les catholiques. Il jugeait le moment venu de faire quelque chose. La réunion de l’Irlande ne pouvait pleinement réussir qu’à ce prix. Il fallait qu’elle fût le début d’une politique réparatrice. « Point de réunion sans émancipation ! » lui disait Canning, qui commençait à prendre du crédit sur lui. Pitt avait toujours accompli la réunion en attendant le reste. Lorsque, d’accord avec Grenville, Dundas et Windham, il voulut faire un pas de plus et rédiger dans cette vue le programme de la session, il fut arrêté net par le roi. George III ne voulait entendre à rien quand il s’agissait des catholiques ; il alléguait le serment de son sacre qui le liait aux lois d’intolérance. Si un ministre lui représentait qu’il s’était engagé à faire exécuter les lois existantes, non à les maintenir par le veto contre le vœu des chambres