point vital. Tant que le débouché à Tineh ne sera point fait, et cela peut se faire attendre douze ou quinze ans, le canal de Suez n’est qu’un cul de sac ; tant que le pont-canal ne sera pas terminé, et cela peut être long, il n’y a pas de passage d’une mer à l’autre. Les capitaux engagés ont des intérêts à servir et ne produisent rien.
Cependant le mérite du projet nouveau ne se borne pas à la certitude d’une exécution plus prompte ; il a son privilège. Qu’on se rappelle que ce projet rend à la culture 500,000 hectares de terrains qui seront dévolus à la compagnie. Or, selon MM. Linant et Mougel, qui ont l’expérience de l’Égypte, un hectare de terrain disposé pour l’arrosage vaut 750 francs, sur lesquels 500 francs sont imputables aux dispositions à prendre pour le rendre arrosable, ce qui laisse une valeur de 250 francs à l’hectare brut ; cet hectare, ainsi arrosé et cultivé, rapporte donc 250 francs par an. Si ces détails sont exacts, on peut sans exagération attribuer une valeur foncière de 250 francs par hectare aux terrains que l’exécution du projet dessèche et rend susceptibles d’être arrosés. Dès lors ces 500,000 hectares, dont la moitié au moins sera prête pour la culture deux ou trois ans après le commencement des travaux, représentent au minimum un capital de 125 millions qui sera nécessairement la base d’une spéculation à part. La compagnie jugera-t-elle à propos d’en entreprendre la mise en valeur ? en fera-t-elle cession à des sociétés agricoles ? lui plaira-t-il d’y importer des colons laborieux des îles de la Méditerranée ? préférera-t-elle s’en arranger avec le pacha, qui réunirait à son territoire cette partie précieuse du sol ? Le pacha pourrait solder la compagnie en annuités à prélever sur la part de 15 pour 100 qu’il s’est réservée dans les produits du canal ; peut-être aimerait-il mieux s’acquitter par un procédé plus immédiat. Quoi qu’il en soit de la combinaison à laquelle on s’arrête, toujours est-il que la réalisation du projet nouveau détermine la création d’un capital spécial de 125 millions qui doit s’amortir par lui-même. C’est donc pareille somme à rabattre du devis de 310 millions, qui sera ramené à 185 millions. Les actionnaires recevront, par remboursemens successifs, tout ce qui dépassera ce chiffre ; néanmoins la totalité des bénéfices du canal des deux mers restera applicable à leurs actions réduites, et par la sera motivé l’abaissement graduel des tarifs du péage. À ce compte, entre les trois projets, le projet nouveau, qui ne doit la conquête de cette richesse territoriale qu’à son tracé particulier, est le plus productif, s’il n’est pas absolument le plus économique.
Notre point de départ a été, on l’a vu, la discussion du projet de canal de Suez à Peluse et du projet de canal de Suez à Alexandrie