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les détails touchant la maison mystérieuse, j’entendis une voix, très aiguë et très perçante, qui recommandait à un domestique d’aller à la ville en toute hâte, et d’amener le premier médecin qu’il rencontrerait. Je me rappelai les paroles d’espoir que j’avais prononcées quelques heures auparavant : « Quelque bonne fortune se présentera peut-être ! » Et j’appelai le domestique, qui me demanda d’un ton bourru ce que je voulais.

— Excusez-moi, lui dis-je ; mais n’ai-je pas entendu une dame vous recommander d’amener un médecin le plus promptement possible ?

— Peut-être bien, répondit l’homme avec une rudesse presque sauvage. Eh bien ! après ? Il est heureux que vous n’en ayez pas entendu davantage : les écouteurs aux portes entendent rarement bien parler d’eux.

— Je n’écoutais pas, répondis-je ; mais j’ai entendu les ordres qui vous ont été donnés, en revenant de la promenade avec ma femme.

— Ce n’est pas le chemin que choisissent ordinairement les honnêtes gens pour se promener à cette heure de la nuit, dit l’homme d’un ton railleur.

Ma femme effrayée se pencha vers moi, et chuchotta à mon oreille : — Allons-nous-en, James ; je n’aime pas la physionomie de cet homme.

Mais je n’étais pas d’humeur à me laisser rebuter pour si peu. Je me rappelai le vieil adage : « Un homme qui se noie se raccrocherait à une paille. » Je m’adressai donc de nouveau au domestique. — Je lui répétai que j’étais médecin et que je pouvais lui épargner le voyage qu’il allait faire. Il s’arrêta indécis, et après quelques instans de silence il me dit : — Je ne vous connais pas ; peut-être êtes-vous un voleur ?

Je sentis le sang bouillir dans mes veines, mais j’avais un but bien déterminé qui me fit avaler encore cette humiliation. D’ailleurs le bourru était armé d’un énorme bâton, et aurait pu au besoin m’étouffer dans ses bras. Je parvins à me dominer, et je lui répondis doucement en lui montrant ma femme : — J’aurais supposé, monsieur, que ma physionomie, pour ne rien dire de cette dame qui m’accompagne, aurait suffi pour me protéger contre de semblables suppositions. Je vous répète que je suis médecin, établi dans Concord depuis quelques mois, que j’ai entendu par hasard requérir les services d’un médecin, et que je vous ai offert les miens, parce que je connais l’importance de prompts secours dans certaines occasions.

L’homme hésita un instant ; enfin il parut convaincu que je disais la vérité, et répondit d’un ton de voix moins grossier : — Après tout, si vous êtes médecin, je ne vois pas pourquoi je m’en irais courir à Concord