Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/962

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démocratique dans tous ses instincts, — justice, légalité, publicité, liberté, — que sera le second ? Il sera cette révolution même. Ce n’est plus un pressentiment, c’est déjà la réalité. Entre Richelieu et nous, il n’y a plus l’intervalle du temps; nous le touchons comme s’il était présent, nous nous enveloppons dans sa soutane; il est notre ministre, notre ambassadeur, qui nous précède dans les temps; nous lui dictons nos ordres, il obéit. Il va à son but, renversant tout, fauchant tout, couvrant tout de sa soutane rouge : il rétablit la royauté dans sa puissance absolue; mais ce grand homme a le privilège que nous avons attaché à toute grandeur : il fait directement le contraire de ce qu’il croit faire. Il croit travailler au pouvoir absolu, et cet aveugle ne travaille en réalité qu’à assurer nos franchises et notre dignité. Nous ne le louons pas seulement, nous l’envions d’avoir fait notre tâche. Dans l’intérêt de la république, il fallait, selon notre formule, extirper absolument tous les germes républicains qu’avaient semés les huguenots, et qui pouvait mieux y réussir que lui ? Ce fut sa première œuvre. Lui vivant, il se fait un silence de peur général, universel dans l’état. C’est ce silence que nous admirons. Nous y voyons je ne sais quel signe avant-coureur de nos tempêtes civiles.

Il y a surtout un point de foi pour nous dans la politique de Richelieu; ce point est d’avoir accablé le protestantisme au dedans et de l’avoir soutenu au dehors. Empêcher la liberté religieuse chez nous, la proclamer partout ailleurs, c’était, à nous entendre, la position la plus admirable que l’on pût donner à un grand peuple destiné à être libre. Politique à double tranchant, nous ne souffrons pas que l’on se hasarde à nous dire combien elle était artificielle et chancelante, combien il était impossible que la France subsistât sur une aussi violente contradiction, protégeant chez les autres ce qu’elle extirpait chez elle. Nous voulons bien que Richelieu réprime au dedans une religion ennemie de la France ; nous applaudissons encore, quand, après la prise de La Rochelle, il ôte toute garantie sérieuse à la réforme, et nous ne voyons pas que de cette situation devait naturellement s’ensuivre la révocation de l’édit de Nantes, qui entraînait après elle le changement de politique extérieure où faillit s’abîmer la société française. Après avoir accepté le principe dans Richelieu, nous n’en voulons plus les conséquences dans Louis XIV. Encore ai-je tort de dire que nous reculons devant la conséquence, puisque, selon les termes d’un de nos historiens les plus populaires, nous ne saurions dire après tout si les libertés concédées par l’édit de Nantes étaient compatibles avec l’existence de l’état, tant il nous est impossible de reconnaître une seule déviation de la ligne droite classique dans notre marche continue vers la justice !