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recherches sont facilitées, la méthode simplifiée, la marche assurée! Nous touchons à la perfection qui nous fait envie dans l’histoire naturelle; mais cet idéal, nous sommes loin de l’avoir atteint, et jusqu’à ce que nous ayons extirpé l’âme humaine de l’histoire des hommes, nous rencontrons une difficulté devant laquelle il nous faut reculer : comment concilier le progrès vers la liberté, c’est-à-dire le progrès dans le monde moral, avec l’oppression continue de la conscience ? Nous blâmons le tiers-état toutes les fois qu’il réagit au moyen âge contre l’accroissement du pouvoir absolu; or cette idée permanente de justice, c’est la substance même de l’histoire; cette résistance, c’est précisément celle de l’âme; cette protestation, c’est le signe de la nature humaine, c’est la preuve qu’il s’agit ici d’êtres raisonnables, non d’automates; c’est le germe de toute liberté future. Comment donc entendons-nous que la liberté puisse naître, si nous trouvons bien qu’elle soit extirpée dès qu’elle ose se produire au fond des cœurs ? D’où viendra-t-elle ? de quels cieux inconnus descendra-t-elle ? Comment fera-t-elle son apparition dans notre histoire ? Sera-ce donc un miracle ? O les plus imprévoyans des hommes ! vous répétez à satiété que rien n’est solide, rien n’est durable que ce qui a son fondement dans le passé, et en même temps, pour mieux préparer la liberté, vous commencez par la condamner et la proscrire partout où vous la découvrez dans votre histoire !

D’où cela vient-il ? D’une conception fausse et toute matérielle de la vie sociale. Nous nous figurons la liberté comme un accessoire, un luxe. L’unité d’abord, disons-nous, la centralisation, la puissance, la richesse, l’aplanissement du sol, les ordonnances sur les eaux, les forêts, les routes, les canaux; plus tard la liberté viendra, et c’est là qu’est l’erreur profonde. Comme si la liberté n’était qu’une superfétation étrangère, parasite, qui à un moment donné et par hasard s’ajoute au corps social ! Comme si ce n’était pas l’âme même des peuples destinés à être libres, la sève de l’arbre! Comme si enfin il était aisé de la faire renaître quand on l’a extirpée, même avec les meilleures intentions du monde !

Dans le calcul, nos théoriciens ont négligé une quantité qui se trouve avoir une valeur énorme : c’est la question morale. Ils ont oublié l’effet que produit sur un peuple l’éducation séculaire du pouvoir absolu. Où ils ont vu le progrès dans l’ordre matériel, ils ont vu la révolution consommée; ils n’ont oublié qu’une chose dans l’histoire humaine, c’est l’âme humaine, sans songer que sous la pression d’une monarchie sans limite se formait le tempérament d’une nation à laquelle il deviendrait de plus en plus difficile de pouvoir respirer l’air de la liberté. Nous nous félicitons à mesure que nous voyons les rois de France agir, penser, vivre à notre place.