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nous connaissons ! Avec cette ferme volonté de prendre chaque fait de l’histoire de France comme un fait sacré, divin, qui enfante le juste, l’Emmanuel, ne voit-on pas que l’on tombe dans la plus singulière superstition ? On avait d’abord applaudi à l’émancipation des communes; dès qu’elles sont écrasées par la force, elles sont condamnées par l’historien. L’horizon moral de ces communes était trop étroit, dites-vous; elles ne pouvaient être le berceau des libertés géantes que nous voyons. Autant vaudrait reprocher au germe d’avoir, une nature mesquine, aveugle, parce qu’il s’ensevelit sous la terre et qu’il ne couvre pas de ses vastes rameaux les générations nouvelles. Eh! que ne l’avez-vous laissé croître ? Peut-être aujourd’hui il vous prêterait son ombre.

Les générations anciennes n’ont pas eu la même résignation que les historiens; elles ont essayé de mille manières de ressaisir l’indépendance perdue; dès que la royauté faiblit, la révolution communale reparaît. Un roi de France est fait prisonnier, un autre devient fou : dans cet interrègne du pouvoir absolu s’accomplissent les grands efforts de 1356, de 1383, pour fonder une tradition de libertés civiles et politiques. Au roi Jean prisonnier répond Etienne Marcel; à la minorité de Charles VI, la révolte des cabochiens. On reconnaît la magnanimité de ces efforts, dans lesquels l’héroïsme se joignit à la plus froide raison. Les déclarations des états de 1356 sont des monumens de sagesse; toutes les garanties que notre siècle a demandées y étaient renfermées : la monarchie tempérée et limitée par une assemblée, les états-généraux s’ajournant eux-mêmes à des époques précises, ce qui impliquait l’idée de la souveraineté nationale; des milices urbaines garantissant à la France que ses forces ne seraient jamais tournées contre elle-même. On avoue que dans ces constitutions l’esprit de liberté n’ôte rien à l’unité nationale, que les bourgeois embrassaient d’un vaste regard l’horizon du royaume. Quant à la déclaration de 1413, le même bon sens éclate avec plus de timidité dans l’ordre politique. Violens dans le combat, circonspects dans la victoire, tout est justice, mesure, dans le plan de gouvernement des cabochiens. Après cet aveu des historiens, vous croyez que nous nous attacherons à cette œuvre du droit, à ces grands caractères, à cette tradition toute plébéienne, que nous verrons là des foyers de la conscience publique, que nous réclamerons au nom de l’avenir quand ces foyers seront éteints. Au contraire ! La royauté, dès qu’elle aperçoit ce mouvement de libertés politiques, s’unit aux barons pour l’écraser. Charles VI, après avoir abattu la liberté municipale en Flandre, revient l’étouffer à Paris. À ce signe manifeste ouvrirons-nous les yeux sur les dangers de l’exagération du pouvoir central ? Point du tout. Etienne Marcel a péri avec son rêve; la bourgeoisie