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médecins. On y apprend de quelles ressources disposent nos vices et nos passions, par quelles métamorphoses bizarres ils passent, et quels avatars successifs peut parcourir un désir, une habitude, un penchant. Le jugement se trouble en songeant que la même passion peut revêtir une forme splendide et majestueuse ou une forme méprisable et abjecte ; le cœur se déchire en reconnaissant que les généreux élans dont il est si fier sont influencés par les agens les plus grossiers, que l’ambition, l’amour, le goût des arts, la piété même, sont soumis à l’action du sang et des nerfs, de la bile et de la lymphe.

Ces souvenirs d’un médecin se présentent à nous sans introduction et d’une manière anonyme, selon l’habitude anglaise. Quel en est l’auteur ? Est-ce un médecin naguère célèbre, ou tout simplement un littérateur qui se sera déguisé sous ce titre ? Nous n’avons à cet égard aucun renseignement, cependant nous pouvons tirer de la lecture attentive du livre certaines inductions en faveur de la première supposition. L’auteur mêle quelques traits de sa propre histoire aux scènes qu’il lui a été donné de voir durant sa carrière médicale, mais il n’y a rien d’artificiel dans ce procédé. Il ne met en avant sa personnalité que lorsqu’elle est intimement unie à l’aventure qu’il raconte ; en un mot, son moi n’est pas le centre du récit et le lien qui unit ses aventures, et il est permis de croire qu’il n’eût pas procédé de même, s’il eût voulu se livrer à une petite supercherie littéraire. En second lieu, l’auteur de ce livre, quel qu’il soit, ne parle pas médecine ; il n’use jamais de mots techniques et pédantesques, et évite avec soin les détails trop anatomiques et physiologiques. C’est là pour nous la meilleure preuve que ces souvenirs sont bien réellement ceux d’un médecin. Un homme de lettres n’eût pas résisté au désir de rendre sa supercherie plus complète. Quel qu’en soit l’auteur, ce petit livre est curieux et amusant ; c’est pourquoi nous n’avons pas hésité à le faire connaître, quoiqu’il se présente à nous sans patronage et sans nom.

La meilleure manière de faire goûter le livre dont nous parlons est de présenter au lecteur quelques-unes de ces esquisses condensées, abrégées et choisies, en réservant pour la conclusion les observations qu’il fait naître dans l’esprit. Le vieux médecin écrit avec vigueur, naturel, simplicité et bonne humeur. Nous avons retrouvé en lui cette vieille qualité commune aux anciens écrivains anglais, et dont les nouveaux écrivains se passent trop facilement, — l’humour, ce mélange d’enjouement attendri et de tendresse contenue qui fait vibrer tant de cordes secrètes du cœur. Il écrit aussi avec sobriété, concision, et il ne dit rien d’inutile. Puissions-nous, en essayant de le rendre plus concis encore, ne pas le faire accuser de sécheresse !