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courage et de dévouement à son pays, il en avait autant qu’un homme en puisse avoir, et plus peut-être qu’aucun homme de son temps, ajoutant à tous ces mérites une parfaite piété. M. Dykeveldt m’a cité un fait particulier qui prouve combien les adversaires mêmes de mon seigneur évaluaient haut sa perte. Il dînait chez M. Skelton (alors résident du roi d’Angleterre en Hollande) au moment où arrivèrent à La Haye les nouvelles de ces jours déplorables; comme il les racontait avec la mesure convenable dans une telle maison, M. Skelton garda le silence au nom de lord Essex; mais en entendant celui de mylord Russell : «Le roi, dit-il, a pris la vie d’un c(homme, mais il a perdu par là un millier et peut-être plusieurs «milliers d’hommes. » — Je ne répète ceci, a ajouté M. Dykeveldt, que parce que c’est un serviteur du roi, M. Skelton, qui l’a dit. »

Guillaume, proclamé roi, ne tarda pas à confirmer avec éclat les paroles que, près de deux ans auparavant, son ministre avait adressées à lady Russell. Le 13 février 1689, le roi Guillaume et la reine Marie, après avoir, le matin, accepté la couronne que leur avait déférée le parlement, tenaient le soir, dans le palais de Whitehall, leur première réception solennelle. Lady Russell n’était point là. Étrangère à toutes les pompes mondaines, même à celles de sa propre cause, elle ne quittait pas plus sa maison que son deuil; mais sa fille, lady Cavendish, parut ce soir-là à la cour avec sa belle-mère, la comtesse de Devonshire : « J’ai baisé la main de la reine et aussi celle du roi, écrivait-elle le lendemain à sa cousine, miss Jane Allington; il y avait au dehors une multitude de feux de joie, et presque toutes les maisons illuminées, ce qui était charmant à voir. On dit que le roi s’applique assidûment aux affaires, et on l’admire beaucoup pour sa prudence dans le règlement de toutes choses. Ce n’est pas un homme de grande mine, et il paraît vulgaire au premier coup d’œil; mais quand on le regarde longtemps, sa physionomie est pleine de ferme sagesse et de bonté. Pour la reine, à tout prendre, elle est vraiment belle, sa figure est très agréable, et sa taille et ses mouvemens pleins d’élégance. Elle est grande, pas si grande pourtant que notre dernière reine. Son salon était plus que rempli, comme vous pouvez le penser. »

Les actes politiques suivirent de près les politesses royales. Un bill fut adopté dans le parlement pour abolir, en la qualifiant de meurtre, la condamnation de lord Russell. Un des articles proposés portait que « le bill était rendu à la demande du comte de Bedford et de lady Russell. » Sir Thomas Clarges demanda que ces mots fussent retranchés : « La justice de la nation, dit-il, est supérieure à toutes les sollicitations individuelles; ce bill n’est point rendu par grâce, toute l’Angleterre y est intéressée. » Ce fut le second acte que