Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affections, tous les devoirs, je dirais presque tous les intérêts de la vie et du monde qui l’entourait.

Peu après son malheur, le docteur Fitz-William lui avait envoyé de pieux conseils et des modèles de prières pour élever son âme à Dieu. Elle lui répond :

« Je n’ai pas besoin de vous dire, mon bon docteur, combien je suis peu capable d’un tel exercice. Vous verrez bientôt à quel point il m’est encore impossible d’en recueillir le fruit; mon esprit est bouleversé, et mes pensées confuses ne me fournissent que des mots pour exprimer mon désespoir. Vous qui êtes mon ami, vous supporterez ma faiblesse et vous compatirez à ma douleur, comme vous l’avez déjà fait par votre bonne lettre et votre excellente prière….. Vous nous avez connus l’un et l’autre, vous savez comment nous vivions; vous devez m’accorder que j’ai bien raison de pleurer. C’est le sort commun de perdre un ami; mais avoir vécu avec un tel ami, combien peu de femmes ont à se glorifier d’un tel bonheur et à déplorer une telle perte! Qui ne succomberait sous un tel coup ? »

Et quelques jours plus tard :

«Toutes sortes d’idées douloureuses viennent assaillir mon cœur affaibli et désolé : quand j’en ai surmonté une, je tombe aussitôt dans une autre. Si mon affliction se calme un moment, mille réflexions sur le passé s’élèvent en moi. Qui sait si quelque acte important n’a pas été omis ? Si nous avions insisté davantage, il serait peut-être parti; si telle ou telle erreur avait été redressée pendant le procès, si d’autres démarches avaient été faites, il aurait peut-être été acquitté, et il serait encore sur la terre des vivans... Je crois que j’ai tort de me tourmenter ainsi par toutes ces vaines pensées; mais elles n’en aggravent pas moins ma douleur... Mon Dieu, fais-moi comprendre ces déchirans arrêts de ta Providence, pour que je ne succombe pas sous mon découragement! Je sais que j’ai mérité que ta main me châtie, et je me tais. Pourtant mon cœur s’abandonne et se désespère trop amèrement, je le crains, et rien ne peut me consoler, car je n’ai plus le compagnon chéri qui partageait mes joies et mes peines. J’ai besoin de lui, je l’appelle pour lui parler, pour me promener avec lui, pour manger, pour dormir auprès de lui. Tout cela m’est insupportable sans lui. Le jour me déplaît quand il vient, et la nuit également. Quand je vois mes enfans, je me rappelle le plaisir qu’il prenait à les voir, et mon cœur se soulève!... Ah ! si je pouvais croire fermement, je ne serais pas abattue ! Que je laisserais là volontiers ce monde, ce monde qui m’importune et me lasse, et où je n’ai plus rien à faire que de purifier mon âme du péché, de supporter patiemment mon malheur et d’assurer, par la foi et la paix de la conscience, mon salut éternel! »