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majesté. C’est pour moi un grand surcroît de douleur d’entendre dire qu’on a persuadé à votre majesté que le papier qu’au moment de sa mort il a remis au shériff n’est pas réellement de lui. Je puis affirmer et attester solennellement que, pendant son emprisonnement, je lui ai entendu dire les principales choses que contient ce papier, et dans les mêmes termes... Que votre majesté, je l’en conjure humblement, ait la charité de croire que celui qui, dans le cours de sa vie, a toujours agi avec tant de sincérité et de franchise, n’aurait pas voulu faire en mourant une telle fausseté que de donner comme sa pensée ce qui n’aurait pas vraiment été de lui... J’espère que je ne dis rien en ceci qui puisse déplaire à votre majesté. S’il en était autrement, je la conjure de prendre mes paroles comme venant d’une femme accablée de douleur; vous pardonnerez, je l’espère, à la fille d’un homme qui a servi le père de votre majesté dans ses plus grandes détresses, et votre majesté elle-même dans ses plus éminens emplois, et moi, qui ai la conscience de n’avoir jusqu’ici rien fait pour vous offenser, je prierai toujours pour la longue vie et l’heureux règne de votre majesté.»

C’est une veuve au désespoir, c’est la femme passionnément dévouée d’un conspirateur mort naguère sur l’échafaud pour maintenir le droit de résistance et les libertés de son pays, qui garde et témoigne si simplement ce profond respect monarchique, ce soin des convenances, cette susceptibilité si humble dans son langage, quoique au fond si fière. Les jours, les mois, les années s’écouleront; elle restera la même, tout entière adonnée à un seul sentiment sans s’y abîmer, à la fois concentrée en elle-même et attentive, active au dehors, expansive même. Elle a un ami, un confident intime, le docteur Fitz-William, jadis chapelain de son père, maintenant recteur de Cottenham et chanoine de Windsor, ecclésiastique profondément pieux, d’un cœur sympathique, d’un esprit élevé et abondant, qui porte à la noble fille de son ancien patron le plus tendre intérêt, et met tous ses soins à la soutenir, à la consoler, à la faire avancer, à travers ses épreuves, vers son Dieu et son salut éternel. C’est à lui que lady Russell ouvre son cœur; c’est auprès de lui qu’elle s’abandonne à tous ses troubles intérieurs, à ses accès d’abattement, à ses élans de pieuse espérance. Je veux rassembler quelques-uns des traits les plus saillans de cette correspondance, — assez, non pour révéler pleinement, mais pour faire entrevoir cette grande âme, rare et admirable surtout en ceci que la passion et le bon sens, la tendresse du cœur et la fermeté de l’esprit ne s’y sont jamais mutuellement étouffés, et que, pendant quarante ans de veuvage, elle a exclusivement appartenu à la mémoire d’un mari adoré, en demeurant sensible et active pour toutes les relations, toutes les