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promis de prendre soin d’elle-même à cause d’eux; elle le fera. » Il s’arrêta, et sa pensée se reportant sur lui-même : « Quel immense changement doit faire en nous la mort! quelles nouvelles et merveilleuses scènes doivent s’ouvrir devant notre âme! J’ai entendu parler d’aveugles-nés qui étaient frappés de stupeur quand, la cataracte tombant de leurs yeux, ils voyaient; que serait-ce si la première chose qu’ils eussent à voir était le soleil levant ? » Il tira sa montre et la donna à Burnet en disant : « J’en ai fini avec le temps; l’éternité vient. »

Le lendemain, 21 juillet 1683, lady Russell était veuve, et seule dans sa demeure de Southampton-House, avec ses trois enfans, deux filles de neuf et sept ans, et un fils de trois ans.


VIII.

Ce n’est pas sans surprise qu’en ouvrant les lettres écrites par lady Russell après un coup si cruel, on en rencontre tout d’abord deux directement ou indirectement adressées à Charles II, au roi qui venait de lui refuser la vie de son mari. A peine hors de Londres qu’elle avait fui pour se retirer avec ses enfans à la campagne, à Woburn, chez son beau-père, le comte de Bedford, elle écrit à son oncle, John Russell, colonel du l1er régiment des gardes à pied :

« Je n’ai, mon cher oncle, nul besoin d’excuse auprès de vous, et mon esprit bouleversé est hors d’état d’en faire aucune; mais j’ai besoin de votre assistance, et je la demande librement. Vous vous rappelez que, peu de jours après mon affreux malheur, le roi me fit dire qu’il n’avait nul dessein de profiter des confiscations qui lui étaient attribuées, mais que les termes de la loi devaient être observés; il a donc fait, dans mes mains, don des biens personnels. Je crois convenable d’adresser à sa majesté quelque témoignage de reconnaissance, et la faveur que je vous demande, c’est de le faire pour moi... Ce n’est pas sans répugnance que je vous écris ceci, car il ne peut venir de moi rien que de fort triste, et je n’aime pas à causer le moindre embarras aux amis et aux proches parens de mon bien-aimé et maintenant bienheureux mari. » ’

Bientôt un bruit de la ville arrive à lady Russell dans sa retraite; elle entend dire que la cour, inquiète de l’effet produit dans le pays par la publication de l’écrit que lord Russell, sur l’échafaud, avait remis au shériff, en nie l’authenticité; elle tient cette attaque pour une injure à la mémoire de son mari; elle se hâte d’écrire au roi :

« Plaise à votre majesté,

« J’apprends que les ennemis de mon mari ne sont point apaisés par son sang, et qu’ils continuent à le calomnier auprès de votre