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tout y est encore dû aux propriétés inhérentes à l’organisme, mais alors sollicitées par des causes hétérogênes, nuisibles, délétères.

Aussi est-ce la fin des systèmes en médecine. Les systèmes, je l’ai dit plus haut, ne furent rien d’arbitraire et de capricieux, vu que ce qui les suggérait, c’était l’ensemble du savoir contemporain ; mais il n’en est pas moins vrai qu’au fond ils étaient étrangers à la médecine qu’ils prétendaient ou résumer ou diriger, vu qu’ils provenaient de toute autre source que la source biologique. Ils étaient donc facilement périssables, se succédant les uns aux autres suivant des conditions toutes provisoires ; mais présentement ils sont écartés d’une façon définitive, car la médecine ne dépend plus, justement dans la partie théorique, qui est celle des systèmes, que de la biologie. Le lien de la subordination entre les deux est indissoluble désormais. La médecine ne peut rien tenter dans la voie spéculative sans se retourner aussitôt et demander si ce qu’elle propose est d’accord avec les lois biologiques. Autrefois au contraire le champ de la spéculation était, pour elle, bien autrement vaste ; elle pouvait, suivant les temps et les influences mentales, s’adresser à la physique, à la chimie, à la métaphysique. C’est grâce à cette obligation de satisfaire aux lois de la biologie qu’on ne voit plus parmi les médecins ces discordances d’opinions qui jetaient toujours un certain discrédit sur leur art, quoiqu’elles provinssent naturellement de l’absence d’un point de départ commun. Aujourd’hui ce point de départ commun est trouvé, et à part les cas exceptionnels, difficiles, obscurs, les médecins suffisamment éclairés tombent d’accord sur le diagnostic et sur les principaux moyens à employer. J’ajouterai que, quand une notion générale de biologie entrera, comme il faut l’espérer, dans l’éducation des gens du monde, ils auront en cela la meilleure pierre de touche pour juger les conceptions illusoires qui se donnent pour des systèmes, et secoueront loin d’eux tant de superstitions médicales qui les assiègent.

J’ai conduit mon lecteur sur les régions ardues de la biologie. Les hauteurs de la pensée sont comme les hauteurs de la terre : ou y arrive par une ascension laborieuse, on y respire non sans quelque gêne ; mais de ces sommités sereines où s’élève la doctrine des sages, selon l’expression du grand poète précurseur de Virgile (edita doctrina sapientum templa serena), s’aperçoit un horizon sans borne de pure lumière, et descendent mille ruisseaux qui vont porter leur tribut fécondant à toutes les choses utiles de la vie.


E. LITTRE, de l’Institut.