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de ses terreurs et de ses naïves croyances, où la nature interpellée répond à l’homme qui l’évoque, et mêle ses murmures aux accens de la passion. Dans le Don Juan, l’âme solitaire et absolue s’exprime par la mélodie vocale que l’orchestre suit et accompagne comme un esclave, tandis que dans le Freyschütz l’homme est en communion avec la nature qu’il invoque dans ses souffrances, et qui lui répond par l’organe de l’orchestre, particulièrement des instrumens à vent, qui sont, comme l’a admirablement entrevu Lamennais dans le troisième volume de son Essai d’une philosophie, la voix de la matière vivifiée par le souffle de la poésie et de la science.

Oui, tel est le caractère du chef-d’œuvre de Weber, qui est, non-seulement le produit d’une révolution musicale, mais le résultat d’une phase nouvelle de l’esprit humain. Dans l’ouverture, dans l’introduction, dans l’air de Max, dans celui de Gaspard, dans le duo adorable des deux jeunes filles au second acte, dans l’air si passionné d’Agathe, dans le trio, dans la fonte des balles, enfin dans toute cette œuvre touchante, le pittoresque se joint à l’expression des sentimens, c’est-à-dire que la nature inorganique intervient dans le drame comme un personnage nouveau de la vie universelle. Un jour nous prouverons l’évidence de ces idées, la partition du Freyschütz à la main.


P. SCUDO




ABREGE DE L’HISTOIRE DE FRANCE, par M. V. Duruy<ref> Deux volumes in-_) avec illustrations, Paris, Hachette. < :ref>. — Les annales de la France se distinguent par des traits particuliers qui saisissent dès le premier aspect, et qui en facilitent singulièrement l’intelligence. Elles sont variées et simples; elles ont un caractère à la fois national et humain; on y voit la vie se développer sous toutes les formes que peuvent revêtir l’idée et la passion, et cependant on y est frappé surtout d’une merveilleuse unité. Dans le progrès successif de la nation française et jusque dans ses révolutions, il y a un enchaînement naturel et une puissance de logique qui ne se rencontrent peut-être chez aucun autre peuple au même degré.

Cette suite logique du mouvement de la civilisation dans l’histoire de France est précieuse pour celui qui entreprend de l’étudier. Cependant il a fallu bien du temps pour qu’on pût tenter cette étude avec succès. On peut même dire que, pour produire une révolution historique, il a fallu une révolution politique. Toujours est-il que nous avons retrouvé le véritable sens de notre histoire, et que, pour l’écrire aujourd’hui, il n’est plus besoin que de suivre les directions tracées par les maîtres. Notre société, en devenant démocratique, en se partageant dans une proportion de jour en jour plus grande entre le travail proprement dit et les préoccupations de l’intelligence, a moins besoin d’une œuvre monumentale destinée aux esprits d’élite que de résumés succincts et substantiels, à la fois assez courts pour être lus promptement et assez nourris de faits pour que rien d’essentiel n’y soit omis, et que le lecteur ordinaire y trouve du profit et de l’agrément. Dans cet ordre d’idées, l’ouvrage de M. Duruy est incontestablement l’un des meilleurs essais qui aient été tentés. Écrivant pour une collection à l’usage de l’enseignement, l’habile professeur avait du premier coup atteint à un degré de clarté rare dans ces sortes d’ouvrages qui en ont tant besoin, et à un degré d’intérêt