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La meilleure preuve que cette affaire était mal engagée, c’est que la présentation de la loi sur les couvens motivait la démission d’un homme cependant fort libéral, M. Buffa, intendant de Gênes ; c’est que l’envoyé piémontais à Rome, M. de Pralormo, devait croire sa mission terminée, et se retirait ; c’est que le ministère se croyait obligé de nommer un certain nombre de nouveaux sénateurs pour la circonstance. On a négocié, dit-on, et on n’a point réussi. Cela est vrai, mais il y a négociations et négociations, et le gouvernement piémontais nous paraît avoir toujours négocié beaucoup plus pour faire reconnaître des faits accomplis que pour arriver par des accords mutuels à un règlement amiable de toutes les affaires religieuses. Si la question eût été placée sur ce dernier terrain franchement et sans faiblesse, comment la cour de Rome aurait-elle pu refuser au Piémont ce qu’elle accordait à de petites républiques de l’Amérique du Sud, par exemple l’abolition du foro ecclesiastico ? La loi sur la dépossession du clergé est à coup sûr infiniment plus grave, car au fond, en dehors même de toute considération religieuse, il reste une question de propriété qui ne peut être tranchée que par l’accord des deux pouvoirs. M. de Cavour, qui est un esprit remarquable et qui vient de montrer une rare décision en signant le traité d’alliance avec la France et l’Angleterre, pourrait être éclairé par un symptôme caractéristique, par l’adhésion qu’il obtient des révolutionnaires les plus extrêmes dans les affaires religieuses. M. Brofferio appuie la loi sur l’expropriation du clergé, et il combat l’alliance du Piémont avec les puissances occidentales : preuve évidente que ce n’est point dans les deux cas la même politique. On pourrait même ajouter que l’une de ces mesures est incompatible avec l’autre. Là est en effet, dans les circonstances actuelles, la gravité de cette loi sur les biens ecclésiastiques, dont la discussion n’est point encore achevée dans la chambre des députés, et qui n’a point passé au sénat. Si la lutte est poussée jusqu’au bout, si le trouble entre dans les consciences, si les passions s’irritent, il en résultera une division de toutes les forces morales du Piémont dans le moment où le pays a le plus besoin d’être uni, de conserver sa cohésion. Et, qu’on le remarque bien, les avantages financiers que le gouvernement attend de cette mesure seront compromis par cela même. L’état se trouvera avec des propriétés dépréciées et une lutte religieuse, avec des ressources très douteuses et une guerre des consciences. Il n’y aura que péril là où une pensée libérale, obstinée dans la conciliation, finirait par trouver les élémens d’une transformation équitable et acceptée par tous, — gage de nouveaux et sages progrès pour le Piémont.

Il est en politique des situations qui ont presque fatalement leurs conséquences. Dès qu’on est entré dans une certaine voie, le difficile est de s’arrêter et même de conserver toute sa liberté. La crise dans laquelle se débat l’Espagne n’en est-elle pas le plus saisissant exemple ? Voici sept mois déjà qu’on s’occupe, au-delà des Pyrénées, à résoudre cet étrange problème de faire de l’ordre avec du désordre, non-seulement dans les questions politiques, mais encore dans les questions financières et économiques. On ne réussit guère à résoudre ce problème, comme cela est naturel, et les efforts les plus sages ne peuvent arriver, en fin de compte, qu’à pallier un instant les effets les plus immédiats et les plus périlleux de cette situation forcée. Le parti progressiste espagnol a un grand malheur : dès qu’il arrive au pouvoir, tout