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libérale dans sa tendance, cette mesure n’a pas été maintenue sans peine contre les réclamations de certains actionnaires qui ne voyaient là qu’une diminution des dividendes. Une équitable rémunération des services rendus, la création d’un lien plus intime rattachant à une entreprise chacun de ses agens, n’ont jamais préjudicié cependant au résultat final des opérations. La disposition dont il s’agit, pourvu qu’on la maintienne dans de justes limites, peut être à la fois un excellent calcul et une mesure de justice. Qu’aucune autre compagnie de chemin de fer n’ait fait application d’un pareil procédé, qui répond si bien aux aspirations de notre temps, on pourrait s’en étonner, si on ne savait pas que les calculs superficiels sont ceux qui frappent le plus les assemblées générales d’actionnaires.

A dater de l’inauguration du chemin de Paris à Orléans, un nouvel horizon semble s’ouvrir pour les chemins de fer en France. L’achèvement de la ligne de Rouen par la vallée de la Seine, qui fut l’œuvre d’une seconde compagnie à laquelle l’état accordait un prêt de 14 millions, vient aussi seconder le mouvement qui s’annonce[1]. On se met en marche suivant les conditions de la loi de 1842, mais en les mitigeant dans la pratique. M. Legrand, qui avait obtenu une large satisfaction en conservant sous sa main l’exécution des travaux d’art et les terrassemens, M. Legrand, il faut lui rendre cette justice, se prêta avec zèle à l’application du nouveau mode. Les ingénieurs des ponts et chaussées s’y consacrèrent avec un talent au-dessus de tout éloge, et si on eut quelque chose à regretter, ce furent seulement certaines constructions trop splendides. En 1843, sur les lignes d’Orléans à Tours et d’Orléans à Vierzon, l’administration prend possession des terrains. Le chemin de Marseille à Avignon, dernier anneau de la longue chaîne de Paris à Marseille, est concédé à une compagnie avec une subvention de 32 millions. C’était là une première application de l’amendement de M. Duvergier de Hauranne, taxé d’abord d’inutile, et qui en ce moment avait pour effet d’empêcher que la mesure adoptée ne fût ouvertement en contradiction avec la loi récente.

En 1844, on avance davantage dans la carrière. De fortes sommes sont affectées aux grandes lignes du réseau national : 88,700,000 francs à la ligne de Paris à Strasbourg, 71 millions à la ligne de Paris à Lyon, 54 millions à la ligne d’Orléans à Bordeaux, 28,800,000 francs à celle de Tours à Nantes, 15 millions aux chemins de Calais et de Dunkerque, 13 millions à celui de Paris à Rennes. Au même moment, des crédits supplémentaires sont ouverts pour des travaux anciennement commencés sur quelques autres lignes. De plus, on met en adjudication les chemins d’Amiens à Boulogne et de

  1. Il n’est pas sans intérêt d’indiquer ici quel a été le prix de revient des deux chemins d’Orléans et de Rouen. Les frais de premier établissement et de mise en exploitation du chemin d’Orléans, dont l’étendue comprend, avec l’embranchement de Corbeil, 133 kilomètres, se sont élevés à 49 millions : si on tient compte de divers travaux effectués après l’ouverture, on peut même les porter à environ 60 millions, ce qui donne 461,500 fr. Par kilomètre. Sur le chemin de Rouen, le prix de revient est de 526,000 fr. le kilomètre (67 millions pour 128 kilomètres). Dans l’exécution des travaux habilement conduits par M. Locke, ingénieur de la compagnie, on a eu à vaincre des difficultés considérables pour le percement de quatre tunnels d’une longueur totale de 5 kilomètres 266 mètres, et cinq ponts à construire sur la Seine.