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Durant la longue lutte dont le mode d’exécution de nos chemins a été l’objet, M. Bartholony a été le champion opiniâtre et clairvoyant de l’exécution par L’industrie privée. Il a été l’antagoniste déclaré des idées de M. Legrand[1]. Comme moyen d’aider les compagnies, il a constamment préconisé le système de la garantie d’un minimum d’intérêt; mais la répugnance de l’administration pour cette combinaison était invincible, et M. Legrand, craignant sans doute qu’on ne prît trop légèrement des obligations dont le poids ne se faisait pas immédiatement sentir, ne cessa d’opposer le mot jamais à toutes les sollicitations qui lui furent faites. Dans l’épanchement des audiences particulières, il était sur ce point absolument intraitable. Le projet de loi présenté en 1840 pour prêter à la compagnie d’Orléans l’appui qu’elle avait eu le courage d’attendre adoptait, au lieu du mode si simple de la garantie, la participation de l’état sous forme de prise d’actions jusqu’à concurrence des deux cinquièmes du fonds social. Ce mode embrouillé ne réussit pas auprès de la chambre élective. Le rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet, M. Gustave de Beaumont, comprit mieux le mécanisme de la garantie d’intérêt, et il sut l’exposer à l’assemblée de manière à rallier la majorité des suffrages pour une innovation si utile et si combattue.

Il est une autre condition plus essentielle encore pour le succès de l’industrie privée, condition que soutint résolument M. Bartholony, et qui n’a pas non plus triomphé sans peine. Il s’agit de l’intérêt à payer aux actionnaires pendant la durée des travaux. Si on attend les revenus de l’exploitation pour servir l’intérêt, on se prive de l’aide des petits capitaux, incapables de sacrifier leurs revenus pendant plusieurs années consécutives. Les actions de chemins de fer n’auraient dès lors convenu qu’aux riches capitalistes, qui, l’eussent-ils voulu, n’auraient pu suffire seuls à l’accomplissement de l’œuvre.

Grâce à la garantie d’un minimum d’intérêt et à la prolongation de jouissance qui lui fut en même temps accordée, la compagnie d’Orléans reprit bientôt une vigueur nouvelle. Les travaux dirigés par M. Jullien, ingénieur en chef des ponts et chaussées, marchèrent vite, et l’exploitation de la ligne entière commença dès le 1er mai 1843. L’incertitude avait été si profonde chez beaucoup de gens, que les actions de la compagnie perdirent jusqu’à 20 pour 100 de leur valeur d’émission. Une issue fâcheuse eût paralysé pour longtemps l’essor de nos voies ferrées. Le succès fut une réponse éclatante à ceux qui prétendaient encore que les longues lignes, les lignes commerciales étaient inexécutables en France. Aussi un des ministres du dernier règne disait-il avec justesse, dans une occasion solennelle, au président du conseil d’administration de la compagnie : « Vous avez prouvé la possibilité des chemins de fer comme on a prouvé le mouvement, en marchant. »

Les règlemens de la société du chemin de fer d’Orléans offrent, depuis 1845, une particularité qu’il nous parait convenable de signaler. Les employés sont admis à participer aux bénéfices nets en une certaine proportion après que les actionnaires ont reçu 8 pour 100. Juste dans son principe et

  1. M. Bartholony a publié plusieurs écrits contenant l’exposé de ses vues : Du meilleur Système à adopter pour l’exécution des travaux publics, et notamment des chemins de fer; — Lettres sur le système adopté par le gouvernement en 1842 et sur l’exécution de la loi du 11 juin; — Résultats économiques des chemins de fer.