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et bientôt à la tête du conseil d’administration, dont la composition fut modifiée par suite de démissions volontaires, un homme qui s’occupait depuis longtemps des questions relatives au nouveau moyen de locomotion, et qui, en soutenant le poids des jours difficiles, sut préparer les moyens de faire face aux nécessités ultérieures, — M. François Bartholony. Un nouvel échec, arrivant après celui de la compagnie de Rouen, eût produit un effet moral désastreux pour la cause des chemins de fer et pour celle de l’industrie privée. Il fallait à tout prix l’éviter, il fallait à tout prix triompher des obstacles actuels et conquérir de nouvelles conditions de sécurité. Ces résultats furent obtenus. Par son action décisive sur la destinée du chemin d’Orléans, par son rôle dans une foule d’opérations ultérieures, M. Bartholony a mérité d’être placé, comme M. Emile Pereire, au nombre des véritables créateurs de l’industrie des voies ferrées en France. Son action dans notre pays n’est pas sans analogie avec celle de Stephenson en Angleterre.

M. Bartholony est un Genevois qui s’était lancé d’abord dans les affaires de banque en débutant dans une maison de Paris au rang le plus modeste. Après des spéculations heureuses, il se retira de cette carrière à l’âge où l’on y entre ordinairement. Lié avec le fondateur du chemin de Saint-Etienne à Andrezieux, M. Beaunier, il songeait en même temps que lui aux moyens d’introduire en France le système de locomotion dont les districts houillers de l’Angleterre offraient seuls encore des exemples. Il s’était associé aux études faites vers l’année 1825 sur le projet d’un railway de Paris au Havre. Il faisait partie d’une des sociétés qui soumissionnèrent en 1827 le chemin de Saint-Étienne à Lyon, en concurrence avec MM. Seguin. En 1833, il présentait au gouvernement, mais en vain, une proposition pour un chemin de Paris à Saint-Denis, et puis une autre plus tard pour le railway du Nord. Esprit porté aux larges combinaisons dans les affaires, qu’il saisit tout d’abord par leurs grands côtés, M. Bartholony s’est également montré dans les détails profondément habile à déterminer les conditions du succès. Après avoir, à l’origine, sauvé le chemin d’Orléans d’un échec, il l’a agrandi dans des proportions colossales; il a eu le premier la pensée des agrégations qui ont constitué le vaste faisceau de l’ouest et du centre. Quand elles sont indiquées par le rapprochement même des lignes, quand elles ne dépassent point certaines limites hors desquelles il serait difficile de maintenir l’unité dans les services, ces réunions sont éminemment favorables, non pas seulement aux compagnies qu’elles concernent, mais encore et surtout aux intérêts généraux du pays. Au lieu de petites individualités vivant péniblement et ne pouvant guère procéder à des essais utiles dès qu’ils sont coûteux, il vaut infiniment mieux des sociétés puissantes, en mesure de compenser des pertes essuyées sur tel ou tel point isolé par des bénéfices réalisés sur d’autres, et de marcher résolument dans la carrière des améliorations. Supposez même que des compagnies de cette dernière espèce aient de leurs intérêts une idée assez fausse pour reculer devant des études, des perfectionnemens reconnus nécessaires; le gouvernement peut toujours les y pousser hardiment sans avoir à s’arrêter devant leur impuissance. L’idée de composer ainsi des unités fortes était donc en elle-même une idée juste qui a été imitée depuis avec avantage, et qui ne pourrait être compromise que par des applications exagérées.