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M. de Rothschild avait besoin d’être pressé et convaincu pour s’engager dans des opérations aussi nouvelles et alors aussi incertaines que les chemins de fer. L’active impulsion de M. Emile Pereire agissait comme stimulant pour déterminer un concours que les résultats ont ensuite largement récompensé. Ce n’en était pas moins alors un grand mérite de la part de M. de Rothschild, ce n’en était pas moins un service précieux rendu au pays, que sa coopération à des œuvres qui ne pouvaient naître sans lui. Les banquiers de Paris ne sont venus pour la plupart se mêler aux chemins de fer que lorsqu’il y a eu des primes à recueillir; ces entreprises furent longtemps frappées d’une telle défaveur, que les agens de change dédaignaient d’en négocier les titres[1]. M. de Rothschild, au contraire, y engagea dès l’origine des capitaux importans, et grâce à lui, et à lui seul, M. Emile Pereire put réaliser ses idées. Un jour vint où ce dernier fut en état de les mettre en pratique tout seul. Quelles que soient les circonstances particulières qui ont pu se mêler à cette scission, nous devons recueillir dans l’histoire de nos chemins de fer les traces de l’union à laquelle on dut la création de plusieurs chemins et entre autres celle du railway de Saint-Germain.

M. E. Pereire montra là tout de suite le côté pratique de son esprit, qui s’est révélé de plus en plus depuis cette époque. Jamais on ne le trouve chimérique, parce qu’il n’agit jamais comme s’il croyait que dans une affaire l’homme puisse tout créer et tout devoir à lui-même. Il s’applique toujours avec une rare sagacité à découvrir et à combiner les élémens réels fournis par les circonstances ou par les besoins du temps. M. Pereire a eu d’ailleurs, il faut le reconnaître, la main heureuse. Le railway de Saint-Germain a été le point de départ d’une série d’opérations presque toujours suivies de succès. On sait que les actions de la compagnie de Saint-Germain, émises à 500 fr, ont un moment quadruplé presque de valeur, et sont encore, après avoir été dédoublées, au lendemain de la fusion de ce chemin avec les compagnies normandes, à plus de 750 francs. L’exploitation de la ligne, dont les travaux avaient été activement et habilement conduits par MM. Eugène Flachat, Stéphane Mony et Clapeyron, a pu commencer le 24 août 1837, c’est-à-dire deux ans seulement après l’autorisation. Ce chemin, qui partait à Paris de la place de l’Europe, et qui n’a été poussé que plus tard jusqu’au quartier Saint-Lazare, dont il a transformé l’aspect, n’allait pas d’abord jusqu’à Saint-Germain. Il s’arrêtait aux bords de la Seine, en face du Pecq; mais en 1846 l’application du système atmosphérique permit d’escalader le coteau abrupt sur lequel est bâtie la ville de Saint-Germain[2].

Les conditions introduites dans le cahier des charges de la compagnie de

  1. Un banquier célèbre, trop mêlé à la politique du temps, mais dont le caractère est toujours resté honorable, M. Jacques Laffitte, se souvint dans les dernières années de sa vie qu’à une autre époque il avait été le patron des idées neuves, et il fut un des premiers à prendre intérêt à des études de chemins de fer.
  2. Le chemin atmosphérique, dont l’exécution fait honneur à M. Eug. Flachat, et qui s’étend sur une longueur de 2,500 mètres seulement, a coûté environ 6 millions et demi. C’est 2,600,000 fr. Par kilomètre. L’état a donné à la compagnie pour cette expérimentation une subvention de 1,790,000 francs, et la ville de Saint-Germain, une autre de 200,000 fr. On conçoit que des essais aussi dispendieux ne se soient pas renouvelés.