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relatives au réseau national. Les progrès toujours croissans des chemins de fer au dehors contrastaient de plus en plus péniblement avec notre inertie prolongée. L’Amérique du Nord n’avait pas moins de 15,000 kilomètres de lignes ferrées exécutées ou en cours d’exécution, et près de 6,000 complètement exploitées. L’Angleterre en avait tracé près de 4,000 kilomètres, sans parler de nombreuses entreprises en projet. A nos portes, la Belgique terminait son réseau. Une émulation extraordinaire s’était emparée des grands comme des petits états de la confédération germanique. Quant à nous, nous n’étions pas même fixés sur le tracé de nos principales lignes, ni sur le mode d’exécution.

En 1842, nous avons hâte de le dire, ce ne fut plus, comme en 1837 et en 1838, une fin de non-recevoir qui vint clore de longs débats. Il sortit une loi des propositions faites par le ministère du 29 octobre. C’est M. Teste, dont la fin a été si triste, qui l’avait présentée comme ministre des travaux publics. Avec une parole plus souple et une imagination plus vive que M. Martin (du Nord), M. Teste convenait mieux pour débattre une question qui affectait des intérêts délicats et ouvrait de mystérieuses perspectives. Quoiqu’il n’adoptât point l’exécution par le gouvernement dans les termes proposés en 1838, le cabinet du 29 octobre se rapprochait beaucoup plus du système de cette époque que les cabinets intermédiaires. L’exposé des motifs était tout imprégné de cette idée, que l’état devait, en ce qui regarde les grandes lignes, rester chargé sinon de la totalité, du moins de la plus forte partie de la dépense. On renouvelait les argumens tirés de l’impuissance de l’industrie privée.

Légitime en lui-même, puisqu’il s’exerçait dans des entreprises d’une incontestable utilité, et qui n’étaient pas alors réputées susceptibles de donner des profits suffisans, le concours de l’état ne devait pas comprendre tous les frais nécessaires. Le plan ministériel classait les travaux en trois catégories. On avait imaginé d’associer à l’exécution les localités traversées par les chemins de fer, le trésor public et l’industrie particulière. Aux localités on imposait une contribution équivalente aux deux tiers du prix des terrains. Outre le dernier tiers restant, l’état prenait à sa charge les terrassemens et les ouvrages d’art. Il laissait à l’industrie privée l’achat et la pose des rails, l’achat du matériel et l’exploitation. Dans ce système, les compagnies n’obtenaient plus de concessions proprement dites : propriétaire du chemin, l’état le donnait simplement à loyer; mais quelle dépense devait entraîner sa participation ? Le ministre ne l’estimait qu’à 150,000 francs par kilomètre, et pour un total de 2,400 kilomètres, qu’à 360 ou 400 millions, évaluation infiniment trop réduite comme celle de 1838. La part laissée à l’industrie particulière était estimée à 125,000 francs par kilomètre, c’est-à-dire à un sixième seulement au-dessous de l’évaluation de la part de l’état; mais si les élémens d’appréciation présentaient encore ici quelques causes d’incertitude, les dépenses du trésor étaient bien plus éloignées d’une estimation précise. Certains partisans absolus de l’exécution par l’état ne manquèrent pas de signaler le rôle de dupe que semblait ainsi jouer le gouvernement; les sacrifices des compagnies avaient des limites connues, les siens n’en avaient pas. On savait ce qu’on demandait; on ignorait le poids des charges qu’on