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singulier : elle refroidit l’enthousiasme qui se prononçait naguère en faveur des chemins de fer. On était tout prêt à renvoyer à l’année suivante et la discussion générale et les discussions relatives à des chemins soulevant quelques objections. Si jamais un débat général avait été utile cependant, c’était à un moment où personne ne semblait fixé sur les bases fondamentales de l’œuvre. Le gouvernement, pour sa part, ne paraissait pas avoir de vues arrêtées, comme ne le prouvaient que trop ces projets introduits confusément, et dont M. le comte Jaubert disait avec justesse, quoique sous une forme un peu triviale, qu’on semblait les jeter à la tête de la chambre. Dans le sein du pays, l’absence d’idées nettes était encore bien plus évidente. Un examen approfondi de la question pouvait éclaircir plus d’un doute, rectifier plus d’une fausse appréciation, ou dissiper plus d’une crainte chimérique. Il n’en fallut pas moins un déploiement inusité de tactique parlementaire pour provoquer au sein des chambres la discussion sérieuse que la question réclamait.

Comme il était facile de le prévoir, dès que le débat s’ouvrit, on ne vit plus telle ou telle ligne isolément, on vit le classement général des lignes destinées à former le réseau national; on demanda où le gouvernement voulait en venir avec tous ces projets et quelles étaient ses vues d’ensemble. M. Martin (du Nord) n’était point préparé à suivre les orateurs sur ce terrain. Aussi, lorsqu’un membre de l’assemblée qui avait de l’autorité devant ses collègues dans les questions de finances, M. Benoit Fould, signala avec une amertume profonde, quoique contenue, l’insuffisance des études faites et l’incertitude trop visible du gouvernement sur les relations d’une ligne à l’autre, M. Martin (du Nord) ne put-il dissimuler son mécontentement ni sa déconvenue. Le côté faible des projets ministériels était dévoilé; mais le tort de M. Fould, le tort de l’opposition, c’était d’appliquer à toutes les grandes lignes une critique qui, pour être juste, n’aurait dû en atteindre que quelques-unes. Quand le ministre adjurait la chambre de voter au moins la ligne de la Belgique, autour de laquelle se groupaient des intérêts si sérieux, en sus des petits chemins concédés sans subvention, sa demande aurait dû échapper aux critiques dirigées contre la masse des projets primitifs. Il n’en fut pas ainsi malheureusement, et l’intérêt de la lutte se concentra bientôt sur le chemin belge. On pouvait rejeter telle ou telle autre ligne ou même toutes les autres lignes à la fois sans être positivement contre le cabinet, mais on prenait place parmi ses adversaires dès qu’on repoussait le chemin de la Belgique. Plus cette préférence du gouvernement éclatait, appuyée d’ailleurs sur d’excellens motifs, et plus les opposans redoublaient d’efforts pour faire échouer sa proposition favorite. Les moyens les plus divers étaient mis en œuvre. Sur quelques bancs, on condamnait le chemin à cause du parcours adopté, et on lui reprochait de prendre par Amiens au lieu de se diriger par Saint-Quentin. Dans d’autres parties de la chambre, on attaquait le plan ministériel d’une autre façon : on réclamait la priorité pour une ligne différente. On s’en prenait encore au système de la concession directe avec subvention employé à l’égard de M. Cockerill. La subvention de l’état, disait-on, impliquait de plein droit la voie de l’adjudication Erreur manifeste qui provenait de la jalousie du pouvoir délibérant envers le pouvoir exécutif !