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avait adopté le gouvernement ? Revendiquait-il pour l’état l’établissement des lignes ferrées comme celui des routes ordinaires ? Ou bien, ainsi qu’on l’avait fait jusqu’à ce jour, en abandonnait-il l’exécution à l’industrie privée ? La méthode suivie en Angleterre et en Amérique venait à l’appui du premier système; la Belgique avait au contraire choisi le second pour l’exécution de son réseau. Le ministère du In avril se prononçait pour les compagnies, — sous diverses formes, il est vrai, avec ou sans subvention du trésor, par des concessions directes ou par des adjudications, mais sans hésiter sur le fond du système. On avait pris le terme de quatre-vingt-dix-neuf ans pour maximum de la durée des concessions; on s’était réservé la faculté de réviser les tarifs à l’expiration des trente premières années, et ensuite après chaque période de quinze ans. La faculté de rachat avait aussi été stipulée au profit de l’état. Le plus important de tous les chemins proposés, celui dont le gouvernement avait l’exécution le plus à cœur, c’était le chemin du Nord. En nous rapprochant de l’Angleterre comme de la Belgique, ce chemin était destiné à servir de trait d’union entre les trois capitales de l’Europe occidentale, Paris, Londres et Bruxelles. Des considérations empruntées à l’ordre politique et stratégique, comme à l’ordre commercial et industriel, militaient hautement en sa faveur. On disait chez les amis du gouvernement qu’il était une expression fidèle de sa politique au dedans comme au dehors. D’après le projet, le chemin était concédé à un entrepreneur anglais, M. John Cockerill, qui le prenait à sa charge, moyennant divers avantages secondaires et une subvention égale au quart de la dépense totale, sans que cette subvention pût dépasser 20 millions de francs.

Quoique le ministère se fût abstenu de procéder par voie d’exposition de principes, quoiqu’il n’eût point groupé ses chemins dans un seul acte, la présentation simultanée des projets, l’analogie des idées qui leur servaient de base, ne permettaient guère de les envisager isolément les uns des autres. La plupart des questions qu’on pouvait appeler des questions de principes se trouvaient d’ailleurs engagées dans le débat par les termes même de ces projets. En vain, justifiant les tracés adoptés, discutant les prétentions des divers intérêts entendus dans les enquêtes préliminaires, le ministre avait évité d’articuler aucune intention systématique et d’aborder les généralités; en vain l’initiative semblait-elle se restreindre, comme pour offrir moins de prise à l’attaque : la question d’ensemble, la question générale revenait impérieusement d’elle-même. Pourquoi donc, si l’on tenait à resserrer le débat dans le cercle de chaque ligne, avait-on apporté les six projets à la fois ? C’était là une erreur de tactique que le ministre des travaux publics sembla prendre à tâche d’aggraver encore. Au milieu de l’examen de ces premiers projets, il vint inopinément proposer des lignes sur Le Havre et sur Dieppe, et en outre du chemin de Paris à Orléans, un autre de Paris à Tours par Versailles et par Chartres, enfin deux lignes fort secondaires sans doute, qui ne pouvaient soulever des difficultés bien sérieuses, mais qui n’en contribuaient pas moins à grossir la question pendante, les lignes de Bordeaux à La Teste, et d’Épinac au canal du Centre. C’était trop d’affaires à la fois, même pour une politique qui s’intitulait une politique d’affaires.

Cette pluie de projets inattendus produisit sur la chambre un effet